Exécution de Louis XVI.
Il pleut sur Paris. Le jour se lève. Le roi déchu, lui, s'est levé dès cinq
heures, après une nuit d'un sommeil paisible. A 10 h 22, Louis XVI est mort.
Au petit matin du 21 janvier 1793, un bourgeois de Paris écrit : "Depuis
cinq heures, on entendait le roulement sourd des canons et des caissons,
le trot de la cavalerie, le pas régulier de la troupe ; c'est un événement
qui se préparait". Louis XVI, le roi déchu, va mourir. La
veille, c'est la municipalité de Paris qui s'est le plus activée. Les révolutionnaires
s'interrogent : comment le peuple va-t-il réagir ? C'est tout de même la
première fois dans l'histoire du pays qu'un roi va être exécuté. Et puis
les royalistes ne vont-ils pas tenter quelque chose ? L'inquiétude est d'autant
plus forte qu'en ce 20 janvier, le régicide Lepeletier de Saint-Fargeau
a été assassiné par un ancien garde du roi vers 18 heures chez Février,
restaurateur au Palais-Royal. Les révolutionnaires de la Commune de Paris
et les sections parisiennes ont donc décidé d'employer les grands moyens.
Il convient tout d'abord d'écarter du parcours que va emprunter l'ancien
roi toute personne favorable à Louis XVI ou susceptible d'être par trop
émue par son exécution : les royalistes donc, mais aussi les femmes réputées
plus sensibles. Les sections décrètent : "Tout
homme qui criera grâce ou qui s'agitera sans considération, sera arrêté
et conduit en prison. Les femmes ne sortiront pas de chez elles. Les sections
seront en armes à leurs différents postes". Il faut en effet
que l'ancien roi, en se rendant sur le lieu du supplice, ne porte son regard
sur sur des hommes en armes. La force armée a bien fait les choses : pas
moins de douze mille hommes des sections parisiennes ont pris place le long
du trajet au cours de la nuit. Place de la Révolution où doit avoir lieu
l'exécution, quelque quatre-vingt mille hommes gendarmes et gardes nationaux
sont à pied d'oeuvre. Ils disposent d'une artillerie conséquente : quatre-vingt-quatre
pièces ! Les Parisiens sont conviés à adopter une attitude de "morne
dignité". Une
affiche placardée sur les murs de Paris communique les voeux du maire Chambon
: "Le glaive de la loi va frapper le plus
grand et le plus coupable des conspirateurs. Vous avez conservé, citoyens
de Paris, pendant le cours de ce long procès, le calme qui convient à des
hommes libres ; vous saurez le garder encore au moment de l'exécution du
tyran. Vous prouverez, par la sagesse de votre contenance, qu'un acte de
justice ne ressemble point à la vengeance. Ce jour sera tout à la fois,
pour les rois et pour les peuples, un exemple mémorable de la juste punition
des despotes et de la morne dignité que doit conserver un peuple souverain
dans l'exercice de sa puissance". La sentence a été communiquée
à Louis XVI en ce dimanche 20 janvier 1793. Il était 14 heures lorsque
au deuxième étage de la grande tour du Temple la porte de l'appartement
du roi s'est ouverte sur une délégation d'une quinzaine de personnes dont
le ministre de la Justice Garat et celui des Affaires étrangères Lebrun.
On vient annoncer le jugement de la Convention. Un secrétaire est chargé
de la lecture des décrets. Quatre articles : "Article
Premier : la Convention nationale déclare Louis Capet, dernier roi des Français,
coupable de conspiration contre la liberté de la Nation et d'attentat contre
la sûreté de l'Etat. Article 2 : la Convention nationale déclare que Louis
Capet subira la peine de mort. Article 3 : la Convention nationale déclare
nul l'acte de Louis Capet, apporté à la barre par ses conseils, qualifié
d'appel à la Nation du jugement contre lui rendu par la Convention. Article
4 : le Conseil exécutif provisoire notifiera le présent décret dans le jour
à Louis Capet et prendra les mesures pour en assurer l'exécution dans les
vingt-quatre heures". On tend le texte du décret à Louis
XVI. Celui-ci le plie soigneusement, sort une lettre de son portefeuille,
s'adresse au ministre de la Justice : "Monsieur,
si la Convention accorde ma demande pour la personne que je désire, voici
son adresse". Il s'agit d'un prêtre d'origine irlandaise
qui n'a pas prêté serment constitutionnel, ouvertement royaliste donc, l'abbé
Edgeworth de Firmont. Car le roi déchu veut pouvoir se confesser seul à
seul avec un prêtre de son choix. La requête est acceptée. En revanche,
deux autres demandes sont refusées : celle de disposer d'un "délai
de trois jours pour pouvoir se préparer à paraître en présence de Dieu",
celle de voir libérer sa famille. La Convention accède au désir de Louis
Capet de revoir sa famille sans témoins. Néanmoins, la scène sera surveillée
par des gardiens à travers la cloison vitrée qui ne laisse passer aucun
son... Alors que l'abbé de Firmont est arrivé à la prison dès 19 heures,
le roi s'en va une heure plus tard, faire ses adieux à sa famille : son
épouse, la reine Marie-Antoinette, sa soeur, madame Elisabeth, le dauphin
Louis XVII, et sa fille, madame Royale. Témoignage de Cléry, valet de chambre
: "Il fut impossible de rien entendre ; on
voyait seulement qu'après chaque phrase du roi, les sanglots des princesses
redoublaient et qu'ensuite le roi recommençait à parler. Il fut aisé de
juger à leurs mouvements que lui-même leur avait appris sa condamnation".
Autre témoignage, celui de l'abbé irlandais : "Pendant
un quart d'heure, aucun n'articula une parole et ce ne furent que des cris
assez perçants pour être entendus hors de l'enceinte de la tour. Enfin les
larmes cessèrent. On se parla à voix basse assez tranquillement".
Louis XVI raconte comment s'est déroulé son procès, explique combien il
a été surpris le premier jour par les questions du président de la Convention
; combien aussi la présence de son cousin, Philippe-Égalité, parmi ses juges
l'a peiné. Il se tourne vers le dauphin : "Mon
fils, promettez-moi de ne jamais songer à venger ma mort".
L'enfant se tait, le père insiste : "Vous
avez entendu ce que je viens de dire ? Jurez en levant la main que vous
accomplirez les dernières volontés de votre père !". Le
pauvre n'en aura pas l'occasion... L'entretien dure un peu plus de deux
heures. Les gardes viennent peu après 22 heures chercher le roi. Louis dit
à Marie-Antoinette : "Je vous assure que je
vous verrai demain matin à 8 heures !". Elle : "Pourquoi
pas 7 heures ?". Lui : "Alors
7 heures...". C'est un mensonge : lui sait bien que c'est
leur dernière entrevue mais il veut épargner tant que faire se peut les
siens. L'échafaud a été transféré vers la place de la Révolution, entre
le piédestal de l'ancienne statue de Louis XV et le commencement des Champs-Élysées.
Car l'on veut que la cérémonie ait de l'allure. Il est cinq heures et cela
fait bien longtemps que Paris s'est éveillé. Deux hommes se font réveiller
à ce moment précis : le bourreau Sanson par son aide, Louis XVI par son
valet Cléry. Ce dernier coiffe le roi, longuement. Louis Capet ne mange
rien : le jeûne du martyr. De six heures à sept heures, le roi se confesse,
seul à seul avec l'abbé de Firmont, dans le cabinet de la tourelle du Temple.
Louis XVI ensuite s'habille. Il donne l'impression d'être très calme. Son
valet lui passe ses vêtements : une chemise fraîche, le gilet blanc cassé
porté la veille, une culotte grise, un habit brun clair. Ensuite, il écoute
la messe célébrée par l'abbé. Vers huit heures, la porte s'ouvre avec fracas.
Santerre, commandant de la Garde nationale parisienne, fait irruption, suivi
de quelques hommes. Le roi : "Vous venez me
chercher ?". L'autre : "Oui".
Les soldats sont au garde-à-vous. Louis XVI veut remettre son testament
à l'un des membres de la délégation qui accompagne Santerre, Jacques Roux,
prêtre rouge, chef de file des "Enragés". L'autre refuse : "Cela
ne me regarde pas. Je ne suis pas ici pour faire vos commissions mais pour
vous conduire à l'échafaud !". "C'est
juste..." soupire le roi qui prend un dernier instant pour
s'agenouiller dans son cabinet privé devant l'abbé de Firmont qui lui donne
sa bénédiction. Une dernière faveur a été accordée au roi : la charrette
des condamnés à mort lui a été évitée. C'est donc dans le carrosse du maire
de Paris qu'il va au supplice. Deux gendarmes accompagnent le roi ; l'abbé
Firmont est assis sur la banquette de devant. Antoine de Baeque, dans son
livre "La gloire et l'effroi" écrit : "Louis
XVI prie, murmurant la prière des agonisants, et rien, sur le trajet, ne
vient rompre ce silence. La foule, contenue derrière les soldats, est muette
comme prévu. Le trajet, dans des rues encore à demi obstruées par des plaques
de neige, prend plus de deux heures, au pas lent des chevaux, des cent cavaliers
de la gendarmerie qui précèdent le carrosse comme des cents cavaliers de
la garde républicaine qui le suivent. Le carrosse parvient peu après 10
heures sur la place de la Révolution". Louis
XVI regarde longuement l'échafaud, achève sa prière. Jacques Roux note dans
son procès-verbal : "Il a été trois minutes à descendre de voiture".
Plus peut-être dans un silence assourdissant. Legros, l'assistant de Sanson
et un officier municipal ouvrent enfin la porte du carrosse. On veut le
lier ; dans un premier temps, le roi refuse : "Me
lier ? Non je n'y consentirai jamais". L'abbé lui murmure
: "Souffrez cet outrage comme une dernière
ressemblance avec le Dieu qui va être votre récompense".
Louis XVI se laisse faire, se dévêt de son habit, ouvre le col de sa chemise,
dégage le cou, se laisse couper les cheveux qu'il porte habituellement courts
sous la perruque. Ensuite, il gravit les marches de l'échafaud, appuyé sur
son confesseur. Il veut s'adresser à la foule. Santerre lève son sabre.
Les tambours se mettent à battre. Louis XVI veut parler, il frappe du pied
: "Silence ! Faites silence !".
Nul ne l'écoute. Lorsque les bourreaux l'attachent à la planche, il crie
: "Peuple, je meurs innocent des crimes qu'on
m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort, et je prie Dieu que le sang
que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France...".
L'a-t-on entendu ? Rien n'est moins sûr à l'exception de ceux qui était
tout près de lui. "Les roulement des tambours
(ont couvert) sa voix tandis qu'il a un moment levé les yeux avant qu'on
ne le couche sous le glaive qui a tranché ses jours". Un
cri affreux, il est 10 h 22, le dernier roi des Français est mort. Le bourreau
montre la tête tranchée. Des sectionnaires se précipitent pour tremper leurs
épées et leurs piques dans le sang. On crie : "Vive
la République ! Vive la Nation !". Des farandoles s'organisent.
Le cadavre de Louis XVI est transporté sur-le-champ dans l'église de la
Madeleine. |