Emeutes du sucre
26 janvier 1792
Lettre parue dans la "Chronique de Paris"
Aux Parisiens et Parisiennes. Citoyens de Paris, et vous femmes courageuses qui aussi avez concouru à la conquête de la liberté, quels mouvements vous agitent aujourd'hui, et quel en est le motif : La liberté est-elle en péril ? les ennemis sont-ils à vos portes ? le roi vous abandonne-t-il de nouveau ? la famille vous poursuit-elle, comme dans ces journées terribles où, pressés entre la faim et l'épée, vous vous levâtes tous ensemble comme si vous n'aviez été qu'un seul homme, et fîtes mourir la tyrannie ? Ah ! dites-vous en pleurant, c'est pis que tout cela ; une calamité cruelle nous menace, les charmes de nos déjeuners sont éclipsés, et le sucre se vend un écu. Etres pusillanimes ! quoi, c'est là ce qui vous trouble
et vous émeut ! Du sucre ! c'est pour du sucre que vous pleurez,
comme animaux flatteurs et rampants, qui attendent chaque jour, de la
main de leur maître, la portion de sucre qu'il leur accorde ? La
perte d'une friandise devient une calamité publique, et Paris est
en désordre pour du café au lait ? Ah ! qu'ils doivent s'applaudir
de leur système, ceux qui disent que vous n'êtes pas capables
de supporter la liberté ? Elle se raidit contre les obstacles,
elle s'alimente de privations ; la faim, la guerre, le jeûne, les
fatigues, rien ne l'étonne ; elle sourit aux périls, et
leur dit : paraissez, je vous attends. C'est par du sucre qu'on a cru vous prendre comme des perroquets et des enfants : montrez que vous êtes des hommes, et renoncez au sucre. Annoncez, par cette privation volontaire que vous êtes capable d'en supporter de plus grandes, et faîtes pâtir la tyrannie, en lui présentant ce front austère qui se ride et s'endurcit contre les maux de toute espèce. Cette denrée moderne est-elle donc si nécessaire ? Quoi ! les Américains ont pu se passer de thé, et le jeter à la mer, et vous seriez incapable d'une privation qui, au bout du compte, ne doit durer que quelques mois. Bientôt les accapareurs, forcés de baisser le prix de cette denrée avilie et avariée, porteront la peine de leur bassesse, ou, s'ils en vendent aux étrangers, cette exportation tournera au profit du change, et fera baisser le prix du numéraire. Levez-vous, généreux citoyens dont la voix patriotique s'est souvent fait entendre dans les districts ; parlez, chaleureux Cloots, éloquent Louvet ; invitez nos citoyens libres à renoncer, par serment, à l'usage du sucre ; que les dames de la Halle le jurent avec enthousiasme, et que la France entière les imite. Et vous aristocrates, qui pensez toujours à nous faire battre, cherchez d'autres rubriques, car vous voilà déjoués. |