Adresse au roi pour le renvoi des troupes
cantonnées autour de Paris
9 juillet 1789
Texte rédigé par le comte de Mirabeau, adopté
par l'Assemblée Nationale
et présenté le 10 juillet au roi par une députation de
24 membres.
Sire, vous avez invité l'assemblée nationale à vous témoigner sa confiance ; c'était aller au-devant du plus cher de ses voeux. Nous venons déposer dans le sein de votre majesté les plus vives alarmes ; si nous en étions l'objet, si nous avions la faiblesse de craindre pour nous-même, votre bonté daignerait encore nous rassurer, et même, en nous blâmant d'avoir douté de vos intentions, vous accueilleriez nos inquiétudes ; vous en dissiperiez la cause ; vous ne laisseriez point d'incertitude sur la position de l'assemblée nationale. Mais, sire, nous n'implorons point votre protection, ce serait offenser votre justice ; nous avons conçu des craintes, et, nous l'osons dire, elles tiennent au patriotisme le plus pur, à l'intérêt de nos commettants, à la tranquillité publique, au bonheur du monarque chéri qui, en nous aplanissant la route de la félicité, mérite bien d'y marcher lui-même sans obstacle. Les mouvements de votre coeur, sire, voilà le vrai salut des Français. Lorsque des troupes s'avancent de toutes parts, que des camps se forment autour de nous, que la capitale est investie, nous nous demandons avec étonnement : Le roi s'est-il méfié de la fidélité de ses peuples ? S'il avait pu en douter, n'aurait-il pas versé dans notre coeur ses chagrins paternels ? Que veut dire cet appareil menaçant ? Où sont les ennemis de l'Etat et du roi qu'il faut subjuguer ? Où sont les rebelles, les ligueurs qu'il faut réduire ?... Une voix unanime répond dans la capitale et dans l'étendue du royaume : Nous chérissons notre roi ; nous bénissons le ciel du don qu'il nous a fait dans son amour. Sire la religion de votre majesté ne peut être surprise que sous le prétexte du bien public. Si ceux qui ont donné ces conseils à notre roi avaient assez de confiance dans leurs principes pour les exposer devant nous, ce moment amènerait le plus beau triomphe de la vérité. L'état n'a rien à redouter que des mauvais principes qui osent assiéger le trône même, et ne respectent pas la conscience du plus pur, du plus vertueux des princes. Et comment s'y prend-on, sire, pour vous faire douter de l'attachement et de l'amour de vos sujets ? Avez-vous prodigué leur sang ? Etes-vous cruel, implacable ? Avez-vous abusé de la justice ? Le peuple vous impute-t-il ses malheurs ? Vous nomme-t-il dans ses calamités ? Ont-ils pu vous dire que le peuple est impatient de votre joug, qu'il est las du sceptre des Bourbons ? Non, non, ils ne l'ont pas fait, la calomnie du moins n'est pas absurde ; elle cherche un peu de vraisemblance pour colorer ses noirceurs. Votre majesté a vu récemment tout ce quelle peut sur son peuple ; la subordination s'est rétablie dans la capitale agitée ; les prisonniers, mis en liberté par la multitude, d'eux-même ont repris leurs fers ; et l'ordre public, qui peut être aurait coûté des torrents de sang, si l'on eût employé la force, un seul mot de votre bouche l'a rétabli. Mais ce mot était un mot de paix ; il était l'expression de votre coeur, et vos sujets se sont fait gloire de n'y résister jamais. Qu'il est beau d'exercer cet empire ! C'est celui de Louis IX, de Louis XII, de Henri IV ; c'est le seul qui soit digne de vous. Nous vous tromperions, sire, si nous n'ajoutions pas, forcés par les circonstances : cet empire est le seul qu'il soit aujourd'hui possible en France d'exercer. La France ne souffrira pas qu'on abuse le meilleur des rois, et qu'on l'écarte, par des vues sinistres du noble plan qu'il a lui-même tracé. Vous nous avez appelés pour fixer, de concert avec vous, la constitution, pour opérer la régénération du royaume : l'assemblée nationale vient vous déclarer solennellement que vos voeux seront accomplis, que vos promesses ne seront point vaines, que les pièges, les difficultés, les terreurs ne retarderont point sa marche, n'intimideront point son courage. Où donc est le danger des troupes, affecteront de dire nos ennemis ?... Que veulent leurs plaintes, puisqu'ils sont inaccessibles au découragement ? Le danger, sire, est pressant, est universel, est au-delà de tous les calculs de la prudence humaine. Le danger est pour le peuple des provinces. Une fois alarmé sur notre liberté, nous ne connaissons plus de frein qui puisse le retenir. La distance seule grossit tout, exagère tout, double les inquiétudes, les aigrit, les envenime. Le danger est pour la capitale. De quel oeil le peuple, au sein de la disette et tourmenté des angoisses les plus cruelles, se verra-t-il disputer les restes de sa subsistance par une foule de soldats menaçants ? La présence des troupes échauffera, ameutera, produira une fermentation universelle ; et le premier acte de violence, exercé sous prétexte de police, peut commencer une suite horrible de malheurs. Le danger est pour les troupes. Des soldats français, approchés du centre des discussions, participant aux passions comme aux intérêts du peuple, peuvent oublier qu'un engagement les a faits soldats, pour se souvenir que la nature les fit hommes. Le danger, sire, menace les travaux qui sont notre premier devoir, et qui n'auront un plein succès, une véritable permanence qu'autant que les peuples les regarderont comme entièrement libres. Il est d'ailleurs une contagion dans les mouvements passionnés ; nous ne sommes que des hommes : la défiance de nous-mêmes, la crainte de paraître faibles, peuvent nous entraîner au-delà du but ; nous serons obsédés de conseils violents, démesurés ; et la raison calme, la tranquille sagesse, ne rendent pas leur oracles au milieu du tumulte, des désordres et des scènes factieuses. Le danger, sire, est plus terrible encore, et jugez de son étendue par les alarmes qui nous amènent devant vous. De grandes révolutions ont eu des causes bien moins éclatantes ; plus d'une entreprise fatale aux nations et aux rois, s'est annoncée d'une manière moins sinistre et moins formidable. Ne croyez pas ceux qui vous parlent légèrement de la nation, et qui ne savent que vous la représenter selon leurs vues : tantôt insolente, rebelle, séditieuse ; tantôt soumise, docile au joug, prompte à courber la tête pour le recevoir. Ces deux tableaux sont également infidèles. Toujours prêts à vous obéir, sire, parce que vous commandez au nom des lois, notre fidélité même nous ordonne cette résistance ; et nous nous honorerons toujours de mériter les reproches que notre fermeté nous attire. Sire, nous vous en conjurons au nom de la patrie, au nom de votre bonheur et de votre gloire : renvoyez vos soldats aux postes d'où vos conseillers les ont tirés ; renvoyez surtout les troupes étrangères, ces alliés de la nation, que nous payons pour défendre, et non pour troubler nos foyers. Votre majesté n'en a pas besoin : eh ! pourquoi un monarque adoré de 25 millions de Français ferait-il accourir à grands frais autour du trône quelques milliers d'étrangers ? Sire, au milieu de vos enfants, soyez gardé par leur amour. Leur députés de la nation sont appelés à consacrer avec vous les droits éminents de la royauté, sur la base immuable de la liberté du peuple ; mais lorsqu'ils remplissent leur devoir ; lorsqu'ils cèdent à leur raison, à leurs sentiments, les exposeriez-vous au soupçon de n'avoir cédé qu'à la crainte ? Ah ! l'autorité que tous les coeurs vous défèrent, est la seule pure, la seule inébranlable ; elle est le juste retour de vos bienfaits, et l'immortel apanage des princes dont vous serez le modèle. |