La fuite et le retour du roi
21-25 juin 1791
Lettres de Nicolas Ruault à son frère
Paris le 22 juin 1791. Le trône est vacant depuis hier matin. Le roi est parti avec son frère, sa femme, sa soeur et ses enfants. On ne sait encore quelle route ils ont prise mais ce n’est pas celle de l’Orient ou de l’Occident ; c’est plutôt vers le nord qu’ils ont porté leurs pas ; car c’est là qu’on les attend. Quelle belle occasion pour le duc d’Orléans, s’il était aimé et estimé ! Voilà ce que l’on gagne à n’avoir ni talent, ni courage, ni vertu ! On ne pensera pas à lui pour combler le vide que laisse Louis XVI. En effet Mr d’Orléans n’en est pas digne. Son fils aîné peut-être le serait. Le 21, hier, à 5 heures du matin, tout Paris sut la fuite du roi. Elle ne surprit personne ; on en avait tant parlé, on avait tant dit de fois qu’il s’en irait au premier jour que cela a paru tout simple. A onze heures une foule immense se transporte aux Tuileries et remplit tous les appartements qui étaient ouverts de toute part. On n’avait pas mis la clef sous la porte. Plus de cent mille personnes (j’étais du nombre) y passèrent, jusqu’à 2 heures ou environ qu’on vint mettre les scellés ; alors tout le peuple se retira tranquillement pour laisser agir les officiers de justice. De tout le mobilier du palais, il n’a disparu que le portrait du roi qui a été mis en pièces. J’ai vu sur une table des petits appartements plusieurs feuilles des Actes des Apôtres, journal ou feuille contre-révolutionnaire d’un nommé Peltier, fils d’un banquier de Nantes que j’ai connu autrefois. On les a toutes déchirées. Tout le reste du jour les effigies du roi, de la reine, des princes qui pendaient aux boutiques des marchands et ailleurs ont été effacées ou arrachées, par un mouvement spontané ; partout où l’on voyait le nom de roi ou royal, on a passé du noir de fumée, détrempé dans l’huile. En peu d’heures ces mots ont été retranchés de tous les établissements publics et particuliers. Le soir, dans le jardin des Tuileries, dans celui du palais royal, on faisait d’un air tranquille et rassuré les motions les plus injurieuses au roi et à la royauté. Imaginez ce que l’on peut dire de plus avilissant, vous serez encore au-dessous. Adieu, je vous en dirai davantage dans deux ou trois jours. |
Paris le 27 juin 1791. La ville de Paris s’est montrée fière et superbe au moment de la fuite du roi, pendant son absence et le jour qu’il a été ramené dans les murs de cette capitale. Le lendemain au soir de cette fuite, nous apprîmes son arrestation à Varennes près de Clermont en Argonne. Barnave, Pétion et Latour Maubourg avaient été envoyés pour le ramener à Paris. Il y arriva par les Champs-Elysées, au milieu d’une foule immense du peuple accouru de tous côtés pour le voir passer ; il passa en effet comme un prisonnier que l’on mène dans un château fort. Chacun avait son chapeau sur la tête et la garde rangée en haie jusqu’aux Tuileries portait l’arme bas, la crosse sur le pavé. Il était 7 heures du soir, le 24 de ce mois. Barnave tenait le jeune dauphin sur ses genoux ; la reine avait sur sa tête un chapeau noir d’où pendait un crêpe qui l’empêchait d’être vue. La voiture qui ressemblait à une maison était chargée sur le devant de trois prisonniers ; c’étaient 3 gardes du corps servant de courriers et de postillons dans la fuite (ils furent conduits à la prison de l’Abbaye). Cette voiture entra dans le jardin par le pont tournant qui ne fut ouvert qu’aux troupes. Je les ai vus descendre au pied du péristyle la reine se trouva mal, il fallut la monter chez elle. Le roi sortit de la voiture le dos courbé, la tête enfoncée dans les épaules ; il fuyait tous les regards. Ce grand et lourd carrosse était chargé par-devant et par-derrière de 15 ou 20 grenadiers nationaux. Cette ignominieuse entrée, de l’Etoile au Château a duré plus d’une heure ; le cortège composé de plus de 10 mille hommes tant à pied qu’à cheval et de canons qui marchaient devant à côté et derrière la voiture, défilait lentement et faisait des pauses forcées par la multitude des spectateurs qui criaient : Vive la loi, vive la Nation et rien de plus. Quelle dégradation de la dignité royale ! Quel respect peut-on maintenant avoir pour un prince qui a subi une pareille humiliation publique. Oh qu’ils sont coupables ceux qui l’ont ainsi prostitué au mépris des citoyens. Et qu’il est triste d’avoir vu un pareil spectacle ! Les voilà donc claquemurés dans les Tuileries, dans ce superbe palais qui ne pouvait suffire à les loger commodément avant la fuite, comme le disait le roi dans le petit volume de plaintes et de protestations qu’il nous laissa en partant et à la suite duquel il défendait à ses ministres de ne rien signer en son nom jusqu’à ce qu’ils eussent reçu de lui de nouveaux ordres, et il ordonnait au garde des sceaux de l’Etat de les lui renvoyer aussitôt qu’il en serait requis. Le père, la mère et le fils sont séparés ; on les a mis chacun dans un appartement avec une garde. Le roi n’a rien perdu de son humeur ordinaire ; toutes les situations lui sont égales, à ce qu’il paraît ; s’il était philosophe, on le croirait de la secte d’Epictète ou de Zénon. Dimanche matin il demanda à Monsieur de Lafayette ce qu’on disait de lui dans Paris. Eh bien, que disent les Parisiens de la petite farce que je leur ai jouée ? - Sire, elle ne les a point du tout fait rire, répondit le général. Vous avez dû vous en apercevoir. Le soir les commissaires de l’Assemblée nationale se transportèrent chez lui pour avoir sa déclaration conformément au décret ; il la dicta lui-même en causant familièrement avec eux. Vers 9 heures il tira sa montre et leur dit : En voilà assez, il faut que cela finisse ; mon souper refroidit. Monsieur Maret, le rédacteur du Bulletin de l’Assemblée nationale, nous racontait hier à minuit ces petits mots qu’il venait d’entendre de la bouche même des commissaires. Il s’agit de savoir ce que l’on fera de ce roi (qui ne l’est plus par le fait). La question est délicate, et l’embarras extrême. Les uns désirent que le fils soit proclamé roi, avec un conseil de régence, sans régent. Les autres veulent qu’on les laisse en arrestation et sans pouvoir jusqu’à l’achèvement de la constitution. Alors, on lui présentera la charte constitutionnelle à signer, en lui disant : Voulez-vous êtes notre roi à ces conditions ? Il paraît que ce dernier parti est celui qui prévaudra dans l’Assemblée. Sans doute le roi acceptera, même sans lire les conditions. Il n’a pas à choisir. Mais cette acceptation, quel compte en peut-on faire ? Est-il naturel de croire qu’un Bourbon qui a été roi sans conditions, qui succède à 60 et tant de rois sans conditions se soumettra de bonne foi à des conditions ? Non, cela n’est pas possible. Notre royauté avec des conditions ne peut être offerte qu’à un prince qui n’est pas roi, qui serait flatté de le devenir même avec des conditions qui borneraient son pouvoir ; en un mot à un prince qui ferait fortune avec nous et chez nous. Autrement c’est erreur, sottise et folie. Je vous dis franchement ce que je pense sur ce chapitre très important. Ce que l’on va faire dans cette occurrence extraordinaire décidera du sort de la France en bien ou en mal dans très peu de temps... |