L'élection d'un évêque

mars 1791

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La société des amis de la Constitution de Strasbourg, à leurs frères de la société de Nancy.

Frères et amis,

Victoire ! le fanatisme est terrassé ; les espérances des ennemis de la Patrie sont déçues ; on vient d'élire l'évêque de notre département ; dès le premier scrutin, le vénérable père Brendel a réuni une majorité de plus de cent voix. Nous allons tâcher de vous décrire les différentes situations où nous nous sommes trouvés depuis deux jours.

Les électeurs du département avaient été convoqués pour le samedi 5 pour s'organiser ce jour-là et pour procéder le 6 à l'élection d'un évêque. Différents bruits inquiétants s'étaient répandus : on disait que les électeurs protestants s'étaient laissé persuader qu'il n'était pas convenable qu'ils coopérassent au choix d'un évêque catholique ; que d'ailleurs le plus grand nombre des électeurs catholiques ne consentiraient pas à élire un nouvel évêque tant qu'ils n'auraient pas l'extrait mortuaire de l'ancien. Enfin on disait que le petit nombre de ceux qui procéderaient au scrutin étaient disposés à donner leur voix à M. Rohan, ou à quelques-uns des prêtres réfractaires ; la seule opération que ces électeurs eussent encore faite, l'élection du département, n'était pas, à un petit nombre de membres près, propre à nous rassurer sur tous ces bruits.

Quelques-uns des membres de notre société avaient publié des écrits qui devaient être distribués aux électeurs, pour les prémunir contre les insinuations perfides que l'on redoutait. La société avait arrêté la veille qu'elle leur témoignerait le désir de les voir assister à ses séances ; ils s'y rendirent en effet en assez grand nombre ; comme c'était en grande partie des villageois qui ignoraient le français, les discussions et les lectures furent faites en allemand ; on leur dit ce que l'on crut de plus propre à les porter à se réunir pour un bon choix. La séance était sur le point de finir, quand on vint annoncer quel était le président que le premier scrutin venait de donner à l'assemblée électorale. Le choix fut unanimement applaudi et nous le regardâmes comme un heureux présage pour celui du lendemain.

MM. les commissaires du roi, présents à cette séance, y firent aussi un exposé succinct et éloquent de leurs devoirs et leur témoignèrent la plus grande confiance : ces homme simples, mais sensés et honnêtes, parurent prendre intérêt aux travaux de la société et, étonnés de trouver des vertus dans une assemblée qu'on leur avait peinte comme le repaire de tous les vices, plusieurs d'entre eux prirent la parole et exposèrent que dans les campagnes on n'avait qu'une fausse idée de la constitution ; qu'un grand nombre de municipalités négligeaient de leur faire connaître les décrets ou les altéraient ; que c'était le défaut d'instruction et non le manque de patriotisme qui occasionnait des mouvements fâcheux parmi les habitants de la ci-devante Alsace.

Le dimanche matin, on lut dans différentes paroisses un mandement du cardinal à l'occasion du carême ; il a inféré dans ce mandement une partie de sa lettre pastorale et il excommunie formellement tous les électeurs qui coopéreront au choix du nouvel évêque. Les électeurs ont procédé au scrutin, après avoir entendu la messe ; quelques factieux électeurs prêtres en ont entraîné environ 40 qui sont sortis sans vouloir participer à l'élection.

Malgré toutes ces tentatives, il est resté 417 électeurs, qui, à midi, ont eu fini leur opération ; on voyait, au nombre des scrutateurs, un jeune prêtre qui a été des premiers à prêter le serment, après la publication du décret.

Le soir, les prêtres de la ville qui ont prêté le serment ont chanté le Te Deum à la cathédrale, en présence du conseil de la commune, du commandant de la ville et des électeurs.

M. Brendel était à sa place de notable ; à son retour à la maison commune, il a reçu les acclamations d'un peuple immense qui remplissait toutes les avenues. Quatre drapeaux aux trois couleurs ont été arborés en haut de la tour de la cathédrale. Le cardinal qui, de sa retraite où il prie, compose et recrute, devait déjà connaître le choix du peuple, a pu être témoin de notre joie.

Un grand nombre d'électeurs se sont présentés le soir pour être reçus membres de la société ; ils ont été flattés des témoignages multipliés de la reconnaissance générale, pour nous avoir donné M. Brendel qui a mérité sa place par son civisme et par 20 ans de travaux, comme professeur en droit canon.

Nous vous prions d'excuser le désordre de notre narration : nous avons voulu être les premiers à vous apprendre une nouvelle qui doit combler de joie tous les patriotes et faire pâlir les ennemis de la paix.