Compte-rendu du Comité permanent de
Paris
à l'Assemblée Nationale
14 juillet 1789
Ce compte-rendu des événements de la matinée a été lu devant l'Assemblée Nationale par l'un des deux représentants du Comité permanent de Paris (Ganilh et Bancal des Issarts). Partis trop tôt de Paris, ils ignoraient que la Bastille avait été "prise", au contraire des députés qui venaient d'être prévenus par le vicomte de Noailles. |
Messieurs, Il est impossible à des coeurs français, vivement affectés dans ce moment, de vous peindre les malheurs de leur patrie. Pardonnez le désordre de nos idées dans une circonstance aussi désastreuse. L'établissement de la garde bourgeoise, qui avait été fait hier fort heureusement, avait procuré une nuit assez tranquille. Par le compte des opérations des districts, rendu au comité permanent, il est constant que plusieurs particuliers non enrégimentés ont été désarmés, et leurs armes apportées, soit aux districts, soit à l'Hôtel-de-Ville. Ce matin un escadron de hussards, qui s'est présenté dans le faubourg Saint-Antoine, a répandu une alarme générale, et excité la fureur du peuple. Il s'est porté dans le quartier de la Bastille pour connaître les intentions du gouverneur. Sur l'avis qui en a été donné au comité, il a invité M. de Rulbière, commandant de la garde de Paris et deux compagnies de Gardes-Françaises, à aller au secours des citoyens qu'on disait avoir été attaqués par les hussards ; à peine étaient-ils arrivés que les hussards ont disparu. Bientôt après, une partie du peuple a appris au comité que le gouverneur de la Bastille avait fait tirer sur les citoyens. Ce même peuple s'était emparé de 3 invalides de la Bastille, qu'il a menés à l'Hôtel-de-Ville, et que le comité a fait mettre en sûreté dans les prisons de l'Hôtel. Le comité voulant prévenir les malheurs qui allaient arriver à la Bastille, y a envoyé 3 députations, l'une composée de M. l'abbé Fauchet, et 3 autres membres du comité, pour conjurer le marquis de Launay de ne point faire tirer le canon de la Bastille, et afin de calmer le peuple, lui proposer de recevoir une garde bourgeoise. Ces Messieurs, après avoir couru le plus grand danger, sont revenus sans avoir eu aucun succès. Une autre députation s'y est présentée avec un drapeau et un tambour, et a fait le signal de la paix. On l'a laissée pénétrer dans une cour de la Bastille ; et bientôt une décharge a fait tomber à ses côtés des citoyens morts ou blessés. M. Corny, procureur du roi et de la ville, était de cette députation, et à son retour a instruit le comité de ce fait. Nous sommes partis sans avoir entendu le résultat des démarches de la troisième députation. Mais, Messieurs, une heure avant notre départ, nous avons vu le spectacle le plus alarmant. Une partie du peuple, qui avait été témoin des malheurs arrivés à la Bastille, s'est porté à l'Hôtel-de-Ville, est entré dans la salle du comité, et a demandé à grands cris le siège de la Bastille. Dans ce moment, le comité a jugé que notre départ était nécessaire, et que nous ne devions pas perdre un instant pour faire part aux représentants de la nation la plus généreuse de l'univers, de la douleur profonde de tous les habitants de la capitale, et les supplier de nous aider de leurs lumières et de leur patriotisme. Pendant l'intervalle qui s'est écoulé entre la députation vers le gouverneur de la Bastille, et son retour à l'Hôtel-de-Ville, plusieurs citoyens armés ont amené au comité deux courriers, l'un chargé de la dépêche du ministère de la guerre, contenant des lettres adressées à M. de Sombreuil, gouverneur des Invalides ; et à M. Berthier, intendant de l'armée ; l'autre chargé d'une lettre adressée au gouverneur de la Bastille. Le peuple demandait à grands cris l'ouverture de toutes les lettres : le comité est parvenu à sauver la dépêche du ministre de la guerre. Quant à la lettre du gouverneur de la Bastille, elle avait été ouverte par le peuple, qui a exigé que le comité en fit lecture : elle contenait ordre de tenir jusqu'à la dernière extrémité ; qu'il avait des forces suffisantes pour se défendre. Voici, Messieurs, l'arrêté que le comité nous a chargés d'avoir l'honneur de vous présenter : Le comité permanent de la sûreté publique, assemblé à l'Hôtel-de-Ville, a arrêté qu'il serait en correspondance journalière avec l'assemblée nationale. Nous soussigné électeur de Paris, membre du comité permanent, et député par ce comité à l'assemblée nationale, certifions la copie ci-dessus et de l'autre part, conforme au procès-verbal de la délibération dudit comité. A Versailles, ce 14 juillet 1789. Signé, Bancal des Issarts. |