Actes et correspondances
du Comité de salut public

1794

(extraits)

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Comité de salut public

 

Jurés du Tribunal révolutionnaire :

Le Comité de salut public, convaincu que son premier devoir est de prévenir l'altération des principes et des lois révolutionnaires ; instruit que, depuis quelques temps, des jurés du Tribunal révolutionnaire ont introduit l'usage de motiver à l'audience leurs opinions individuelles, et des inconvénients qui en résultents ; considérant qu'il est également contraire à l'esprit de cette institution à tous les principes que les membres du jury révolutionnaire se transforment en orateurs ; que le but le plus innocent d'un tel abus ne peut être que la satisfaction des individus, qui ne doivent consulter que la chose publique ; que cette manière nouvelle d'influencer les opinions, incompatible avec la célérité et la pureté des jugements, peut substituer insensiblement le pouvoir de la parole ou de l'intrigue à celui de la raison et à la voix de la conscience, rappelle que les jurés doivent se contenter de donner leur déclaration purement et simplement, conformément aux principes et à la loi, sans se livrer à aucune discussion. Le présent arrêté sera adressé au président du Tribunal révolutionnaire, qui sera tenu de le communiquer à tous les membres du Tribunal et au jury, et d'en maintenir l'exécution.

Robespierre, Billaud-Varenne, Jeanbon Saint-André, C.-A. Prieur - 9 février 1794.


Recouvrement des taxes, secours aux ecclésiastiques :

Circulaire du Comité de salut public aux administrateurs de district.
Toutes les lois émanées de la sagesse de la représentation nationale doivent être exécutées avec le même soin et le même zèle ; mais commes celles qui frappent le plus sur les passions des hommes sont celles qui éprouvent le plus d'obstacles et de difficultés, c'est particulièrement sur celles-là que votre vigilance doit s'exercer.
La loi du 16 frimaire ordonne que les taxes faites et perçues sur des citoyens dans toute l'étendue de la République, par des Comités révolutionnaires ou par tous autres, seront versées dans le Trésor national.
C'est vous que la Convention a chargés de veiller à ce que la rentrée de ces sommes s'effectue avec intégrité.
C'est à vous qu'il appartient de prendre garde que, sous de vains prétextes de dépenses déjà faites, des individues enveloppés du manteau de patriotisme pour couvrir leur rapacité, ne s'approprient ou ne détournent des sommes destinées à l'équipement, à l'entretien et au soulagement des généreux défenseurs de la patrie.
Un décret du 17 du même mois ordonne la rentrée des domaines nationaux engagés autrement qu'en vertu des décrets, règle les formalités à suivre pour cette rentrée. C'est sur l'exécution de cette loi importante que doit agir votre vigilance. Qui mieux que vous est à même de connaître la nature et la qualité des biens engagés, d'où dépend en plusieurs cas la maintenue des possesseurs ?
Un autre décret du même jour, 1er frimaire, ordonne que tous les biens nationaux seront vendus en la même forme que ceux des émigrés. Cette loi bienfaisante, qui tend à multiplier les possesseurs et à empêcher que les propriétés de s'accumulent sur une seule tête, est toute populaire ; et vous vous attacherez surtout à en suivre l'esprit dans la répartition et la vente qui s'en font sous vos yeux.
Enfin, une loi du même jour, 1er frimaire, accorde des secours aux ci-devant ecclésiastiques qui ont abdiqué ou abdiquent leurs fonctions. C'est à vous de les faire jouir des secours bienfaisants que la patrie leur accorde, et à encourager ceux qui ouvrent les yeux à la lumière de la raison, sans néanmoins molester ceux chez qui elle n'a pas encore fait les mêmes progrès.
Salut et fraternité.

Billaud-Varenne, Robespierre, Barère, Carnot, Collot-d'Herbois, C.-A. Prieur,
Couthon - 10 février 1794.


Prêtres réfractaires :

Lettre à Roux, représentant dans l'Aisne et les Ardennes - 11 février 1794.
Le Comité de salut public est instruit, citoyen collègue, que de nouveaux ministres succèdent aux prêtres : des magisters de communes s'assemblent à Chauny et chantent les vêpres, célèbrent les offices.
Tu dois sentir combien ces assemblées absurdes peuvent devenir dangereuses.
C'est là que la superstition s'alimente, s'échauffe, que le fanatisme prépare ses armes parricides et apprête ses poisons.
Le Comité appelle toute ta surveillance sur ces innovations perfides.
Dissipe ces tourbes d'agitateurs, étouffe ces croassements marécageux ; que la voix de la raison succède enfin, mais que la prudence prépare ses succès, assure son triomphe.


Arbres de la Liberté :

Le représentant dans la Somme et de l'Oise au Comité de salut public - 11 février 1794.
Un crime affreux vient d'être commis à Bresles, chef-lieu de canton du district de Beauvais. Le jour même où les autorités constituées et les bons citoyens ont planté le nouvel arbre de la liberté, d'odieux scélérats ont osé le scier. Les prévenus de cette atrocité sont arrêtés : ils appartenaient au ci-devant Condé. Je viens d'attribuer au tribunal criminel du département de l'Oise la connaissance de cette affaire et j'ai désigné pour le lieu du supplice celui où le crime a été consommé. Les citoyens de la commune demandent à grands cris la punition éclatante des coupables, et il devient en effet indispensable d'accélérer le moment de cet exemple de punition et de justice.


Procès d'un émigré :

Le représentant dans le Nord et le Pas-de-Calais au Comité de salut public - 11 février 1794.
Oui, les gros scélérats échapperaient encore, si l'on n'était sans cesse sur ses gardes. Hier, le ci-devant comte de Béthune-Perrin parait ici, au tribunal, comme complice d'émigrés ; on entreprend de le juger selon les nouvelles lois proposées par le Comité de législation et avec un jury ordinaire. Eh bien ! quoique son raccourcissement paraisse certain d'après les pièces, les jurés campagnards, qui formaient la majorité, ne purent se décider à voter contre un si riche coupable, et le contre-révolutionnaire fut blanchi où le patriote et le pauvre auraient péri cent fois.
Imaginez, si vous le pouvez, mon indignation ; je fais arrêter de suite le défenseur officieux, qui, après avoir prêté serment de n'employer que la vérité, s'était permis d'en imposer à l'ignorance des jurés, en leur donnant comme preuve légale des certificats dix fois illégaux et annulés par le décret du 28 mars dernier.
Je songeais en même temps de faire traduire à Paris l'infâme Béthune ; mais le jugement même du tribunal m'en dispensait ; cet ex-noble vaurien n'était pas seulement prévenu de complicité avec nos ennemis du dehors, il était aussi accusé d'émigration. Le tribunal, en l'acquittant forcément sur le premier chef, le renvoya au département pour vider sa seconde affaire. Je requis l'apport subit à l'administration de toutes les pièces. En moins de six heures, tandis que les aristocrates détenus s'applaudissaient du triomphe d'un de leurs chefs sur la justice nationale, Béthune, qui n'avait point justifié de sa résidence dans le délai voulu, et qui même n'avait pas encore de certificat en règle, fut déclaré émigré, jugé et raccourci aux flambeaux et aux cris de Vive la République ! L'aristocratie eut un rabat-joie, et le patriotisme, qui avait frémi de rage le matin, frémit le soir d'allégresse.
Cette journée m'a fait faire de grandes réflexions sur le danger des jurés ordinaires, quand il s'agit d'exterminer cette bande de conspirateurs de tous grades dont les départements frontières sont inondés.
Mon énergie s'est triplée en cette circonstance ; je n'ai vu que la multitude des scélérats contre lesquels je suis envoyé ; je n'ai consulté que ma haine immortelle pour eux ; et pour parer d'un seul coup à plusieurs maux, j'ai pris l'arrêté dont copie est ci-jointe.

Signé : Le représentant du peuple,
Joseph Le Bon.