Almanach des Françaises célèbres
par leurs vertus, leur talens ou leur beauté

1790

(extraits)

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Mme la baronne de Staël, fille de M. Necker, femme à qui nous devons un ouvrage étonnant sur la personne et les écrits de J. J. Il n'était pas possible de s'approcher plus près de l'âme de Rousseau. Dans le livre qui a fait une sensation prodigieuse, et que tout le monde a lu, on a remarqué à travers l'enthousiasme qui sied à l'auteur, une profondeur, une finesse, qui supposent l'attention la plus réfléchie. Cet ouvrage annonce de quoi les femmes peuvent quelquefois être capable dans la carrière des talents et de la philosophie ; on ne va pas plus loin.

Mme d'Antremont, marquise de Bourdic, est auteur d'un très grand nombre de pièces fugitives pleines d'esprit, de grâce et de légèreté. Il est à désirer que cette Muse aimable nous donne enfin le recueil de ses œuvres ; il est attendu des amateurs. Si elle avait travaillé pour le théâtre dans le genre de Dufréni ou de Desmahis, il est probable qu'elle aurait eu des succès brillants. Mme de Bourdic est de l'académie de Nîmes.

Beaumont (Mme le Prince de). Ses ouvrage sont entre les mains de tout le monde ; ils joignent à l'agrément, à la délicatesse, à la simplicité du style, une heureuse fécondité d'imagination, une sage économie de morale. Sa place semble marquée entre Mme de Genlis et M. Berquin. Le Magasin des Enfans, et celui des Adolescentes, sont avec les lettre de Mme du Moutier, ses ouvrages les plus estimés.

Beaumont (Mme Elie de), femme de l'avocat célèbre du même nom, tous deux connus par leurs talens et leur bienfaisance. Nous devons à cette aimable auteur les Lettre du Marquis de Roselle, où les ridicules dangereux de nos petits-maîtres sont peints au naturel. Mme de Graffigni n'avait pas, à beaucoup près, un talent aussi pur et aussi vrai.

Verteuil (Mme), aujourd'hui Mme Forgeot, actrice pour les drames des Italiens. Son jeu toujours noble, décent et de bon sens, lui attire toujours de nouveaux applaudissements. Animée dans La Femme Jalouse, douce et modeste dans l'Habitant de la Guadeloupe, d'une dignité de très bon ton dans l'Amant Auteur et Valet, elle est coquette et femme de la meilleure compagnie, et sait annoblir tous les rôles. Son mari est auteur de plusieurs pièces applaudies ; Les Dettes nous paraît la plus comique et la mieux faite.

Ducoudrai (Mme) s'est rendue si célèbre dans l'art des accouchements, que le gouvernement, pénétré de ses rares et utiles talents, non content de les récompenser par une forte pension, l'emploie à parcourir successivement toute les généralités du royaume, pour y donner des leçons publiques à toutes les sages-femmes : partout où elle passe, elle laisse les plus heureuse traces de ses bienfaisantes lumières et de son zèle pour l'humanité. Elle a écrit sur son art, et donné à son sexe de très sages conseils.

Dugazon (Mle), actrice du théâtre Français, pour les rôles de soubrettes, et sœur de l'acteur de ce nom ; elle a le jeu infiniment sage, peut-être trop ; en quoi elle diffère du tout en tout de son frère, dont le jeu chargé, fou quelquefois, sort presque toujours du naturel : ce sont les deux extrêmes.

Carline (Mle), jeune actrice du théâtre Italien, qui remplit à ravir tous les rôles naïfs et de travestissement ; c'est dans Fanfan et Colas, dans le Comte d'Albert, et dans le Sire de Créqui, qu'il faut voir ce charmant talent déployer ses grâces.

Saint-Aubin (Mme de), actrice du théâtre Italien, jeune, jolie et d'un talent aussi vrai qu'aimable ; elle joue dans les Savoyards, dans Fanchette, dans Raoul et dans le Tableau parlant, toujours avec justesse, naïveté, finesse et bon sens ; c'est un des plus précieux sujets de ce théâtre.

Renaud (Mlles), de la comédie Italienne, famille de Rossignols : l'aînée a une voix incomparable ; la cadette un jeu vif et charmant : elle est sotte dans les Savoyards, touchante et vraie dans Créqui, pleine de grâces piquantes dans le Jugement de Pâris, où elle mérite réellement la pomme. Sa figure un peu espiègle, ses jolis yeux, sa tournure enchanteresse, en feront bientôt, avec de l'étude et de la modération, une actrice délicieuse.

Le Brun (Mlle Vigée, épouse de M.), de l'académie de Saint-Luc, quoique jeune encore, a fait de si grands progrès dans l'art de la peinture, que ses ouvrages sont actuellement très recherchés par les amateurs. Le 24 janvier 1778, il se rencontra dans une vente qui se faisait à l'hôtel d'Aligre, deux petites têtes d'étude sorties du pinceau de cette jeune dame ; elles excitèrent dans toute l'assemblée une si grande admiration, qu'elles furent poussées et adjugées à quinze cent livres. Mme Le Brun joint, à un talent aussi décidé, l'âme et la figure la plus intéressantes ; elle peint avec un égal succès les portraits à l'huile et au pastel. Les tableaux qu'elle a exposés cette année sont dignes de l'Albane.

Renotte (Mlle), née à Mezière-sur-Meuse, s'est rendue par goût très habile dans le maniement de l'exercice des armes. Son père, l'un des principaux officiers de la compagnie de l'Arquebuse de Mezière, l'ayant menée avec lui en 1774, au prix général de province, qui se rendait cette année à Saint-Quentin, elle remporta, en présence d'une foule de spectateurs, le second prix, et par un cri général, elle y fut surnommée l'Amazone de Mezière.

Maillard (Mlle), très belle actrice de l'opéra ; elle rend supérieurement tous les rôles, et s'est particulièrement distinguée dans Tarare : elle a une très belle voix, forte, nourrie, et beaucoup plus agréable que celle de Mlle D… Elle a fait dernièrement le plus grand effet dans le rôle de Clytemnestre.

Deschamps (la Dlle) était depuis plusieurs années une des meilleures actrices de l'opéra comique pour les rôles de caractère et de mère. Lorsque ce spectacle fut réuni à la comédie italienne en 1762, elle fut admise à ce théâtre, où on la voit encore avec plaisir. Elle a épouse depuis quelques années le sieur Bérard.

Desforges (Mme), actrice des italiens qui joue ordinaraiement les rôles comiques dans les drames. Elle est femme de l'auteur de la Femme Jalouse, de Théodore et Lysinka, et de quelques autres pièces. Son jeu est décent, sa figure noble, son port plein de dignité et de grâces.

Mme la P de R. M., fille du plus respectable des ministres, et épouse d'un magistrat fait pour le devenir, réunit au goût des lettres, héréditaire dans son illustre famille, l'amour des arts agréables, et accueille, avec une distinction flatteuse, les gens de lettres dignes de ce nom. Sa bibliothèque est renommée par un choix exquis, elle renferme même quelques manuscrits précieux. On n'oubliera point parmi les faits mémorables de la révolution, que c'est sous la présidence de R… qu'à été pris au parlement le célèbre arrêté du … novembre 1789.

Mme la duchesse de Vill. d'A... Femme essentielle, amie et protectrice de tous les arts, les aimant véritablement et non par une vaine ostentation. Ils lui rendent en honneur la faveur qu'ils reçoivent d'elle. A un esprit vif et orné, Mme de Vill. joint un besoin d'obliger, une grâce à en exprimer le désir, qui porte le respect jusqu'à l'idolâtrie. Ses secrétaires, qu'elle traite avec les égards dus au talent, sont auteurs des plus jolis opéra comiques, ou de la musique des pièces les plus célèbres.

Contat (Mlle), charmante actrice du théâtre français. La manière dont elle joue le rôle de Susanne dans Figaro, est délicieuse. Le public, qui l'idolâtre, l'appelle à tous les rôle, par les encouragements flatteurs qu'il lui donne ; on lui a vu jouer supérieurement le rôle de coquette dans l'Ecueil des Mœurs de Palissot, dans la Coquette corrigée de la Noue, et il est à présumer qu'elle égalera Mme Grandval, dans le rôle si fin et si difficile de Célimène du Misanthrope. Elle a joué dernièrement le rôle d'épouse dans le Tartuffe, d'une manière qui prouve que tout le grand comique est aujourd'hui de son ressort. Le public aura tourjours de bons acteurs quand il le voudra ; il ne s'agit que de les encourager d'une manière éclairée.

Charière (Mme de) a composé les Lettres Neuf-Châteloises et les Lettres de Lauzanne. Cette dame, hollandaise de naissance et femme de M. de Saint-Hyacinthe, fils du célèbre Saint-Hyacinthe, auteur du Chef-d'œuvre d'un Inconnu, a prouvé, par les deux ouvrages dont nous rapportons les titres, un mérite littéraire éminent. Elle est amie de M. Mercier et d'autres gens de lettres très distingués.

Bertin (Mlle) célèbre marchande de modes, qui a porté ce genre de travail au plus haut degré de perfection. Quelque futile que cet art paraisse, il est vrai cependant qu'il embellit la moitié du genre humain ; qu'il offre aux yeux l'objet le plus agréable de tous, une femme brillante et belle. Mlle Bertin a mis par lui toute l'Europe à contribution, et son commerce, avant la révolution, égalait celui des plus fortes maisons. Elle en sent l'importance, lorsqu'elle va à la cour avec son portefeuille, pour travailler avec les princesses. Quelques-unes de nos élégantes ont chez elle des mémoires de mille écus par mois... Quand les chiffons baisseront-ils de prix !

Bermann (Mlle). Cette dame est marraine et sœur d'un avocat à Nancy qui a fait plusieurs ouvrages utiles ; mais osn titre particulier est un discours, qui remporta le prix à l'académie de Nancy, sur cette question : "Lequel serait plus utile, dans notre siècle, d'écrire un ouvrage purement de belles-lettres ou de morale". Mlle Bermann se décide pour la seconde alternative, et elle en rapporte, pour raison principale, qu'un ouvrage de morale peut être fait de telle sorte qu'il soit aussi dit de belles-lettres, de sorte qu'il réunit les deux avantages. Elle passe en revue toutes les sortes d'ouvrages de belles-lettres et de morale : les premiers ont trop souvent un vide d'objet et de but, qui doit leur donner nécessairement l'infériorité ; car les seconds peuvent être une excellente tragédie, une bonne comédie, un romain bien instructif : comme Télémaque, Paléma, Clarisse, etc. La morale peut encore être mise en dialogue très piquant, en allégorie, en fable, et sous toutes ces formes elle n'en est pas moins morale…

Lévêque (Mlle), jeune personne qui vient de publier des contes champêtres. Elle est la fille de M. Lévêque, auteur de l'Histoire de Russie, et de l'excellent ouvrage intitulé les Moralistes Anciens.

Adeline, sœur de Mlle Colombe, actrice des Italiens, plaît dans tous les rôles dont elle se charge, surtout dans Richard, l'Amant jaloux, et Renaud d'Ast. Son regard expressif et malin, sa souplesse et la netteté de son organe, donnent à son jeu l'esprit qui manque souvent aux pièces. Duègne ou soubrette, amoureuse ou confidente, elle est toujours applaudie, et le mérite toujours.

Aurore (Mlle), de l'opéra, se fait connaître de plus en plus par des vers charmants qui embellissent nos journaux.

Dugazon (Mme), actrice des Italiens. Esprit, jeu, figure, voix et finesse, justesse et chaleur, l'éloquence enfin des plus grandes comédiennes, on trouve tout cela ensemble ou tour à tour dans Nina, dans Marine, dans la Paysanne ou dans la Princesse, dans la Soubrette ou dans l'Amoureuse. Il est impossible d'être plus belle, plus tragique que Mme Dugazon dans le Comte d'Albert, dans Barbe bleue ou dans Raoul de Créqui ; comme il est impossible d'être plus aimable que dans les rôles qu'elle a dans La Colonie et l'Epreuve villageoise.

Gonthier (Mme), actrice des Italiens pour les rôles de mères et de paysannes. Elle est parfaite dans Fanfan et Colas, inimitable dans les Arts et l'Amitiée, et dans les rôles querelleux ou commères ; à travers son excellent caquet, elle laisse échapper des éclairs de sensibilité, elle boude, elle rit, elle parle, elle agit, et tout cela avec un naturel, une vérité, une intelligence toujours applaudie avec transport. C'est à son école que doivent se former les jeunes comédiennes qui veulent avoir la tradition et le vrai modèle du bon jeu.

Gavaudan (Mlles), deux ou trois sœurs du théâtre de l'Opéra. Mlle Gavaudan l'aînée a un genre aimable, et rend agréablement les rôles nécesaires. Sa sœur s'élance dans une carrière plus brillante, et ses succès dans l'opéra de Tartare, où elle joue avec une gaîté qui la rend admirable, lui méritent une place distinguée. C'est, après Mlle Maillard, la plus belle Armide du théâtre.

Montenclos (Mme de) a donné au théâtre Français, le Déjeuné interrompu. On dit qu'elle nous prépare plusieurs pièces qui feront suite à ce Déjeuné. Serait-ce les Quatre Repas ?

Raucourt (Mlle), du théâtre François, a, dit-on, donné une pièce en prose, précédée de la plus virile préface. Nous en ignorons le titre.

Grébu (Mlle), fille du célèbre et inépuisable musicien de ce nom. Elle a donné des essais charmants aux Italiens. Son faire est presque aussi brillant que celui de son père, mais faible et doux. On espère beaucoup de ses précoces dispositions.

Gourges (Mme de), auteur dramatique, a composé l'Homme Généreux et le Mariage de Chérubin. On lui doit aussi le projet d'une caisse patriotique. On dit qu'elle a dans son portefeuille des morceaux plus piquants et plus soignés.

Basseporte (Madeleine), s'est adonnée dès sa jeunesse à la peinture, et a excellé supérieurement à rendre les oiseaux, les plantes, les fleurs, les reptiles, et presque tout ce qui appartient à l'histoire naturelle. Les ouvrages qui naissent sous son pinceau sont regardés par tous les connaisseurs comme des chefs-d'œuvres où l'art le dispute à la nature, pour la vérité de l'expression, la délicatesse et la précision du coloris. Quoiqu'actuellement âgée de 80 ans, on voit encore cette infatigable artiste exposée pendant des journées entières aux ardeurs du soleil, dans les attitudes les plus gênantes, copier tout ce que la nature offre de plus magnifique, de plus précieux et de plus rare dans les plantes que rassemble le jardin du roi.

Harcourt (Mme la comtesse d'), nouvelle Artémise, donne dans Paris un exemple bien éclatant de la force de l'amour conjugal. La mort lui enleva son mari en 1769. Cette tendre épouse, entièrement livrée à sa vive douleur, s'est appliquée à imaginer tous les moyens possibles de l'entretenir. Elle a fait élever à Notre Dame, à la mémoire de son époux, un riche mausolée de la composition du célèbre Lemoine, et elle s'y est fait représenter elle-même dans la plus douloureuse attitude. Non contente de ce lugubre tribut, elle avait fait jeter en cire la figure du compte. Elle l'a revêtu de la robe de chambre dont il se servait et l'a placé dans un fauteuil à côté du lit où il avait coutume de coucher. Plusieurs fois chaque jour elle va, dit-on, s'enfermer dans ce triste lieu, pour s'entretenir avec cette image muette, et de la constance de son amour, et de la vivacité de ses regrets.

Vien (Mme) a mérité, par ses brillants succès dans l'art de peindre la miniature, les oiseaux et les fleurs, d'être agrégée à l'académie royale de peinture, où elle partage, avec son époux, l'admiration des vrais amateurs des arts.

Joly (Mlle), soubrette intelligente et très aimée au théâtre Français, Mlle Joly a tout ce qu'il faut pour faire une excellente Lisette ; le minois chiffonné, le son de voix aigu, les muscles mobiles. La différence entre cette actrice et Mlles Luzi et Fanier, c'est que la première, dans toutes les occasions, par la noblesse et la beauté de sa figure, faisait une soubrette de sa maîtresse, ce qui est une invraisemblance choquante qu'elle augmentait encore par la recherche et l'importance de sa mise théaâtrale ; la seconde était une jolie petite maîtresse, bien impertinente, qui n'avait de soubrette que le nom. On disait : voilà une actrice qui fait la soubrette ; au lieu que Mlle Joly est soubrette réellement.

Dufayel (Mlle), actrice des Italiens, dont le début fut très billant. On la revoit toujours avec plaisir ; son chant est doux et pur, et son jeu naturel. L'histoire de sa sœur a fait du bruit dans le monde, mais la malice avait envenimé cette affaire.

Biéron (Mlle), née avec le goût le plus vif pour les beaux-arts et les sciences, employa sa première jeunesse à l'étude de la musique, de la peinture et de la géographie, et y obtint des succès flatteurs. rassasiée, pour ainsi dire, de ces premiers talents et cherchant à en acquérir de nouveaux, l'illustre Dlle Basseporte, son amie, lui conseilla de profiter de l'aptitude qu'elle avait remarquée en elle pour réussir dans l'anatomie. Mlle Biéron entreprit de se consacrer à toutes les recherches qui conviennent à cet art aussi difficile qu'intéressant. Sans autre secours que ses dispositions naturelles, la force de son âme et une lecture assidue des ouvrages les plus savants anatomistes, surmontant les répugnances, les préjugés, la délicatesse auxquels son sexe est si sujet, et les difficultés qu'il y avait pour une fille de pénétrer dans les hôpitaux et dans les amphithéâtre de chirurgie aux heures où elle ne fut pas exposée à s'y rencontrer avec les étudiants, on la vit, le scalpel à la main, appliquée avec une ardeur incroyable à découvrir les secrets les plus cachés de la structure humaine. Livrée sans relâche à ces rebutantes occupations, elle ne les suspendait que pour consigner chez elle, dans les plus ingénieux modèles, les connaissances et les découvertes dont elle s'était enrichie. Après plus de trente ans d'une étude aussi laborieuse, et d'une multitude d'expériences particulières faites chez elle et à ses frais sur des corps humains, elle a du moins aujourd'hui la satisfaction de recueillir les justes éloges que les savants et les curieux de tous états et de toutes conditions s'empressent de donner aux chefs-d'œuvres que sa savante main à su produire. Mais qui pourrait le croire ? parvenue à l'âge de cinquante-six ans et bornée à un modique patrimoine que, par sa grande économie, elle trouve encoure le secret de partager avec les pauvres, la fortune n'a point jusqu'ici daigné jeter sur elle aucun regard, elle languit dans cet oubli qu'éprouvent trop souvent les grands talents, lorsque l'intrigue et la protection ne se mêlent pas de les faire valoir.

Panc… (Mme), femme pleine de grâces, d'esprit et de vraie sensibilité. Elle a adressé à l'ombre de Rousseau des regrets touchants, écrits avec son âme, et purs comme elle. Sa société est recherchée des gens de lettres et fermée à tous ceux qui n'honorent pas ce noble état par leurs mœurs.

Beaunoir (Mme de) passe pour l'auteur de Fanfan et Colas, et des Amis du Jour. Ces deux pièces font honneur à l'âme qui les a produites. Elles sont jouées, aux Italiens, avec un succès constant. Que n'avons-nous un théâtre aussi honnête, aussi épuré, que celui de Mercier et de Mme de Beaunoir ! Les ennemis des spectacles seraient forcés de les regarder comme la plus excellente école des mœurs.

Mme de Genlis, marquise de Silleri, gouverneur des enfants de M. le duc d'Orléans, est auteur d'une incroyable quantité d'ouvrages. Ses drames sont dignes de l'auteur de Mélanie, et ses romans auraient fait fortune, si J.J. Rousseau n'y avait pas été si maltraité.

L'héroïne parisienne. Nous avons vu le 14 juillet de cette fameuse année, une fort jolie femme se distinguer au siège de la Bastille. Son amant était prêt à partir pour cette périlleuse expédition… Attends, dit-elle, tu ne voleras pas à la gloire sans ta maîtresse ; je veux mourir ou vaincre à tes côtés. A ces mots, elle quitte les habits de son sexe, s'habille en soldat, s'arme d'une épée et d'un pistolet, et court affronter mille morts par cette rue S. Antoine, que le canon balaya deux fois. Elle fut blessée à l'assaut, et revint à l'église des Minimes, couverte de sang et de lauriers.

Du Défant (Mme), femme de beaucoup d'esprit, amie de Voltaire. Nous allions lui destiner un article, mais sa haine pour J.J. Rousseau arrête notre plume. Entrant un jour dans une société où un beau parleur tenait les dés, elle s'assit et écouta longtemps, sans voir, car elle était aveugle ; enfin excédée, elle dit tout haut : quel est le mauvais livre qu'on lit ici ?

Déon de Beaumont (Charles-Geneviève), née le 5 octobre 1728, à Tonnerre en Bourgogne. On ignore dans quelles vues ses parents en imposèrent sur son sexe à sa naissance ; mais on sait que cette demoiselle, constamment réputée garçon depuis ce temps, fit ses études au collège Mazarin ; qu'elle suivit ensuite celles de droit, et parvenue dans cette faculté au doctorat, elle fut reçue avocat au parlement de Paris. M. Linguet, dans le n° IX de ses Annales, annonce que, s'étant fait connaître par plusieurs ouvrages littéraires, elle fut nommée censeur royal pour l'histoire et les belles-lettres ; que ne se sentant point de goût pour pousser plus loin dans ces premières carrières, elle embrassa l'état militaire, obtint une lieutenance de dragons et ensuite une compagnie ; servit en qualité d'aide-de-camp du maréchal de Broglie ; se trouva à plusieurs sièges et batailles, et fut blessée à la tête et à une cuisse au combat d'Ultrop, près d'Oflernwich, en 1761. Se trouvant comme plus ancien capitaine à la tête de quatre-vingts dragons des volontaires de Saint-Victor, elle chargea si à propos et avec tant de bravour qu'elle fit prisonnier de guerre le bataillon entiers, Franc Pussien, de Rhée, composé de 800 hommes. La croix de Saint-Louis fut la récompense de ses belles actions. Ces talents héroïques condamnés au repos par la paix, Mlle Déon ne put se résoudre à végéter dans l'oisiveté des garnisons ; elle suivit successivement, en qualité de secrétaire d'ambassade, M. le marquis de l'Hopital en Russie, et M. le duc de Nivernois en Angleterre, et s'y distingua par la sagacité de son génie et ses profondes connaissances. Le sexe de cette héroïne ayant été reconnu en Angleterre, on grava à Londres, en 1773, son portrait, où elle est représentée en Pallas, le casque sur la tête, l'égide au bras gauche, et la main droite armée d'une lance. On lit au bas en anglais un abrégé historique de sa vie, et à la fin cette inscription en Latin : "A Pallas blessée et non vaincue, devenue célèbre par des combats et des actions publiques en l'honneur de sa patrie, dont ses ennemis n'ont jamais pu ternir les vertus ; dont peu d'hommes ont pu égaler le courage ; dont l'ingrate patrie n'aura pas même les ossements". Par ses anciens camarades de guerre, en mémoire de leur tendre attachement.