Lecture de l'acte d'accusation
"contre la ci-devant reine de France"

14 - 15 octobre 1793

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Audience du 23 du premier mois de l’en 2ème de la République Française

Interrogée de ses noms, surnoms, âge, qualités, lieu de naissance et demeure.

A répondu se nommer Marie-Antoinette Lorraine d’Autriche, âgée d’environ 38 ans, veuve du roi de France, née à Vienne, se trouvant lors de son arrestation dans le lieu des séances de l’assemblée nationale.

Le greffier donne lecture de l’acte d’accusation, dont la teneur suit :

Antoine-Quentin Fouquier Tinville, accusateur-public près le tribunal criminel révolutionnaire, établi à Paris par décret de la convention nationale, du 10 mars 1793, l’an deuxième de la république, sans aucun recours au tribunal de cassation, en vertu du pouvoir à lui donné par l’article II d’un autre décret de la convention, du 5 avril suivant, portant que l’accusateur public dudit tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger, sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens.

Expose que, suivant un décret de la convention du premier août, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été traduite au tribunal révolutionnaire, comme prévenue d’avoir conspiré contre la France ; que, par autre décret de la convention, du 3 octobre, il a été décrété que le tribunal révolutionnaire s’occuperait sans délai et sans interruption du jugement ; que l’accusateur public a reçu les pièces concernant la veuve Capet, les 19 et 20 du premier mois de la seconde année, vulgairement dits 11 et 12 octobre courant mois ; qu’il a été aussitôt procédé, par l’un des juges du tribunal, à l’interrogatoire de la veuve Capet ; qu’examen fait de toutes les pièces transmises par l’accusateur public, il en résulte, qu’à l’instar des messalines Brunehaut, Frédégonde et Médicis, que l’on qualifiait autrefois de reines de France, et dont les noms à jamais odieux ne s’effaceront pas des fastes de l’histoire, Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, a été depuis son séjour en France, le fléau et la sangsue des Français ; qu’avant même l’heureuse révolution qui a rendu au peuple Français sa souveraineté, elle avait des rapports politiques avec l’homme qualifié de roi de Bohême et de Hongrie ; que ces rapports étaient contraires aux intérêts de la France ; que non-contente, de concert avec les frères de Louis Capet, et l’infâme et exécrable Calonne, lors ministre des finances, d’avoir dilapidé d’une manière effroyable, les finances de la France (fruit des sueurs du peuple), pour satisfaire à des plaisirs désordonnés, et payer les agents de ses intrigues criminelles, il est notoire qu’elle a fait passer, à différentes époques, à l’empereur, des millions qui lui ont servi et lui servent encore à soutenir la guerre contre la république, et que c’est par ses dilapidations excessives qu’elle est parvenue à épuiser le trésor national.

Que, depuis la révolution, la veuve Capet n’a cessé un seul instant d’entretenir des intelligences et des correspondances criminelles et nuisibles à la France, avec les puissances étrangères, et dans l’intérieur de la république, par des agents affidés, qu’elle soudoyait et faisait soudoyer par le ci-devant trésorier de la liste ci-devant civile ; qu’à différentes époques, elle a usé de toutes les manoeuvres qu’elle croyait propres à ses vues perfides, pour opérer une contre-révolution ; d’abord ayant, sous prétexte d’une réunion nécessaire entre les ci-devant gardes-du-corps et les officiers et soldats du régiment de Flandres, ménagé un repas entre ces deux corps le premier octobre 1789, lequel est dégénéré en une véritable orgie, ainsi qu’elle le désirait, et pendant le cours de laquelle les agents de la veuve Capet, secondant parfaitement ses projets contre-révolutionnaires, ont amené la plupart des convives à chanter, dans l’épanchement de l’ivresse, des chansons exprimant le plus entier dévouement pour le trône et l’aversion la plus caractérisée pour le peuple, et de les avoir insensiblement amenés à arborer la cocarde blanche et à fouler aux pieds la cocarde nationale ; et d’avoir, par sa présence, autorisé tous ces excès contre-révolutionnaires, surtout en encourageant les femmes qui l’accompagnaient à distribuer les cocardes blanches aux convives ; d’avoir, le 4 du mois d’octobre, témoigné la joie la plus immodérée de ce qui s’était passé à cette orgie.

En second lieu, d’avoir, conjointement avec Louis Capet, fait imprimer et distribuer avec profusion, dans toute l’étendue de la république, des ouvrages contre-révolutionnaires, de ceux mêmes adressés aux conspirateurs d’outre-Rhin, ou publiés en leur nom, tels que les Pétitions aux Emigrants, Réponse des Emigrants, les Emigrants au Peuple, les plus courtes Folies sont les meilleures, le Journal à deux liards, l’ordre, la marche et l’entrée des Emigrants ; d’avoir même poussé la perfidie et la dissimulation au point d’avoir fait imprimer et distribuer avec la même profusion des ouvrages dans lesquels elle était dépeinte sous des couleurs peu avantageuses, qu’elle ne méritait déjà que trop en ce temps, et ce, pour donner le change, et persuader aux puissances étrangères qu’elle était maltraitée des Français ; et les animer de plus en plus contre la France ; que pour réussir plus promptement dans ses projets contre-révolutionnaires, elle avait, par ses agents, occasionné dans Paris et les environs, les premiers jours d’octobre 1789, une disette qui a donné lieu à une nouvelle insurrection, à la suite de laquelle une foule innombrable de citoyens et de citoyennes s’est portée à Versailles le 5 du même moi ; que ce fait est prouvé d’une manière sans réplique par l’abondance qui a régné le lendemain même de l’arrivée de la veuve Capet à Paris et de sa famille.

Qu’à peine arrivée à Paris, la veuve Capet, féconde en intrigues de tout genre, a formé des conciliables dans son habitation ; que ces conciliabules, composés de tous les contre-révolutionnaires et intrigants des assemblées constituante et législative, se tenaient dans les ténèbres de la nuit ; que l’on y avisait aux moyens d’anéantir les droits de l’homme, et les décrets déjà rendus, qui devaient faire la base de la constitution ; que c’est dans ces conciliabules qu’il a été délibéré sur les mesures à prendre pour faire décréter la révision des décrets qui étaient favorables au peuple ; qu’on a arrêté la fuite de Louis Capet, de la veuve Capet et de toute la famille, sous des noms supposés, au mois de juin 1791, tenté tant de fois et sans succès, à différentes époques ; que la veuve Capet convient, dans son interrogatoire, que c’est elle qui a tout ménagé et tout préparé, pour effectuer cette évasion, et que c’est elle qui a ouvert et fermé les portes de l’appartement par où les fugitifs sont passés ; qu’indépendamment de l’aveu de la veuve Capet à cet égard, il est constant, d’après les déclarations de Louis-Charles Capet et de la fille Capet, que Lafayette, favori sous tous les rapports de la veuve Capet, et Bailly, lors maire de Paris, étaient présents au moment de cette évasion, et qu’ils l’ont favorisée de tout leur pouvoir ; que la veuve Capet, après son retour de Varennes, a recommencé ses conciliabules ; qu’elle les présidait elle-même, et que, d’intelligence avec son favori Lafayette, l’on a fermé les Tuileries, et privé, par ce moyen, les citoyens d’aller et venir librement dans les cours et le ci-devant château des Tuileries ; qu’il n’y avait que les personnes munies de cartes qui eussent leur entrée ; que cette clôture présentée avec emphase par le traître Lafayette comme ayant pour objet de punir les fugitifs de Varennes, était une ruse imaginée et concertée dans ces conciliabules ténébreux pour priver les citoyens des moyens de découvrir ce qui se tramait contre la liberté dans ce lieu infâme ; que c’est dans ces mêmes conciliabules qu’a été déterminé l’horrible massacre qui a eu lieu le 16 juillet 1791, des plus zélés patriotes qui se sont trouvés au Champs-de-Mars ; que le massacre qui avait eu lieu précédemment à Nancy, et ceux qui ont eu lieu depuis dans les divers autres points de la république, ont été déterminés dans ces mêmes conciliabules ; que ces mouvements qui ont fait couler le sang d’une foule immense de patriotes, ont été imaginés pour arriver plutôt et plus sûrement à la révision des décrets rendus et fondés sur les droits de l’homme, et qui par là, étaient nuisibles aux vues ambitieuses et contre-révolutionnaires de Louis Capet et de Marie-Antoinette ; que la constitution de 1791 une fois acceptée, la veuve Capet s’est occupée de la détruire insensiblement par toutes les manoeuvres qu’elle et ses agents ont employées dans les divers point de la république ; que toutes ses démarches ont eu pour but d’anéantir la liberté, et de faire rentrer les Français sous le joug tyrannique sous lequel ils n’ont langui que trop de siècles ; qu’à cet effet, la veuve Capet a imaginé de faire discuter dans ses conciliabules ténébreux, et qualifié depuis longtemps avec raison de cabinet autrichien, toutes les lois qui étaient portées par l’assemblée législative ; que c’est elle, et par suite de la détermination prise dans ces conciliables, qui a décidé Louis Capet à apposer son veto au fameux et salutaire décret rendu par l’assemblée législative contre les ci-devant princes, frères de Louis Capet, et les émigrés, et contre cette horde de prêtres réfractaires et fanatiques, répandus dans toute la France ; veto qui a été l’une des principale causes des maux qu’a depuis éprouvé la France.

Que c’est la veuve Capet qui faisait nommer les ministres pervers, et aux places dans les armées et dans les bureaux, des hommes connus de la nation entière pour des conspirateurs contre la liberté ; que c’est par ses manoeuvres et celles de ses agents, aussi adroits que perfides, qu’elle est parvenue à composer la nouvelle garde de Louis Capet d’ancien officiers qui avaient quitté leurs corps lors du serment exigé, de prêtres réfractaires et d’étrangers, et enfin de tous hommes réprouvés pour la plupart de la nation, et dignes de servir dans l’armée de Coblentz, où un très grand nombre est en effet passé depuis le licenciement.

Que c’est la veuve Capet, d’intelligence avec la faction liberticide qui dominait alors l’assemblée législative, et pendant un temps la convention, qui a fait déclarer la guerre au roi de Bohême et de Hongrie son frère ; que c’est par ses manoeuvres et ses intrigues, toujours funestes à la France, que s’est opérée la première retraite des Français du territoire de la Belgique.

Que c’est la veuve Capet qui a fait parvenir aux puissances étrangères les plans de campagne et d’attaque qui étaient convenus dans le conseil, de manière que, par cette double trahison, les ennemis étaient toujours instruits à l’avance des mouvements que devaient faire les ennemis de la république ; d’où suit la conséquence, que la veuve Capet est l’auteur des revers qu’ont éprouvé, en différents temps, les armées françaises.

Que la veuve Capet a médité et combiné avec ses perfides agents l’horrible conspiration qui a éclaté dans la journée du 10 août, laquelle n’a échoué que par les efforts courageux et incroyables des patriotes ; qu’à cette fin elle a réuni dans son habitation aux Tuileries, jusques dans des souterrains, les Suisses, qui, aux termes des décrets, ne devaient plus composer la garde de Louis Capet ; qu’elle les a entretenus dans un état d’ivresse depuis le 9 jusqu’au 10 matin, jour convenu pour l’exécution de cette horrible conspiration ; qu’elle a réuni également, et dans le même dessein, dès le 9, une foule de ces êtres qualifiés de chevaliers du poignard, qui avaient figuré déjà dans ce même lieu, le 23 février 1791, et depuis, à l’époque du 20 juin 1792.

Que la veuve Capet craignant sans doute que cette conspiration n’eût pas tout l’effet qu’elle s’en était promise, a été dans la soirée du 7 août, vers les neuf heures et demie du soir, dans la salle où les Suisses et autres à elle dévoués, travaillaient à des cartouches ; qu’en même temps qu’elle les encourageait à hâter la confection de ces cartouches, pour les exciter de plus en plus, elle a pris des cartouches et a mordu des balles. (Les expressions manquent pour rendre un trait aussi atroce). Que le lendemain 10, il est notoire qu’elle a pressé et sollicité Louis Capet à aller dans les Tuileries, vers cinq heures et demis du matin, passer la revue des véritables Suisses et autres scélérats qui en avaient pris l’habit, et qu’à son retour, elle lui a présenté un pistolet, en disant : " Voilà le moment de vous montrer ", et que sur son refus, elle l’a traité de lâche ; que, quoique dans son interrogatoire la veuve Capet ait persévéré à dénier qu’il ait été donné aucun ordre de tirer sur le peuple, la conduite qu’elle a tenue le dimanche 9, dans la salle des Suisses, les conciliabules qui ont eu lieu toute la nuit, et auxquels elle a assisté, l’article du pistolet et son propos de Louis Capet, leur retraite subite des Tuileries et les coups de fusil tirés au moment même de leur entrée dans la salle de l’assemblée législative ; toutes ces circonstances réunies ne permettent pas de douter qu’il n’ait été convenu dans le conciliabule qui a eu lieu pendant toute la nuit, qu’il fallait tirer sur le peuple, et que Louis Capet et Marie-Antoinette, qui était la grande directrice de cette conspiration, n’ait elle-même donné l’ordre de tirer.

Que c’est aux intrigues et manoeuvres perfides de la veuve Capet, d’intelligence avec cette faction liberticide dont il a été déjà parlé, et tous les ennemis de la république, que la France est redevable de cette guerre intestine qui la dévore depuis si longtemps, dont heureusement la fin n’est pas plus éloignée que celle de ses auteurs.

Que dans tous les temps, c’est la veuve Capet, qui, par cette influence qu’elle avait acquise sur l’esprit de Louis Capet, lui avait insinué cet art profond et dangereux de dissimuler et d’agir, et promettre par des actes publics, le contraire de ce qu’il pensait, et tramait conjointement avec elle dans les ténèbres, pour détruire cette liberté si chère aux Français, et qu’ils sauront conserver, et recouvrer ce qu’ils appelaient la plénitude des prérogatives royales.

Qu’enfin la veuve Capet, immorale sous tous les rapports, et nouvelle Agrippine, est si perverse et si familière avec tous les crimes, qu’oubliant sa qualité de mère, et la démarcation prescrite par les lois de la nature, elle n’a pas craint de se livrer avec Louis-Charles Capet son fils, et de l’aveu de ce dernier, à des indécences dont l’idée et le nom seuls font frémir d’horreur.

D’après l’exposé ci-dessus, l’accusateur-public a dressé la présente accusation contre Marie-Antoinette, se qualifiant dans son interrogatoire de Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, pour avoir méchamment et à dessein, 1° de concert avec les frères de Louis Capet et l’infâme ex-ministre Calonne, dilapidé d’une manière effroyable les finances de la France, et d’avoir fait passer des sommes incalculables à l’empereur, et d’avoir ainsi épuisé le trésor national.

2° D’avoir, tant par elle que par ses agents contre-révolutionnaires, entretenu des intelligences et des correspondances avec les ennemis de la république, et d’avoir informé et fait informer ces mêmes ennemis des plans de compagne et d’attaque convenus et arrêtés dans le conseil.

3° D’avoir, par ses intrigues et manoeuvres, et celle de ses agents, tramé des conspirations et des complots contre la sûreté intérieure et extérieure de la France, et d’avoir à cet effet allumé la guerre civile dans divers points de la république, et armé les citoyens les uns contre les autres, et d’avoir, par ce moyen, fait couler le sang d’un nombre incalculable de citoyens ; ce qui est contraire à l’article IV de la section première du titre premier de la seconde partie du code pénal, et à l’article II de la seconde section du titre premier du même code.

En conséquence, l’accusateur-public requiert qu’il lui soit donné acte, par le tribunal assemblé, de la présente accusation ; qu’il soit ordonné qu’à sa diligence et par un huissier du tribunal, porteur de l’ordonnance à intervenir, Marie-Antoinette, se qualifiant de Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet, actuellement détenue dans la maison d’arrêt dite la conciergerie du palais, sera écrouée sur les registres de ladite maison, pour y rester comme en maison de justice ; comme aussi que l’ordonnance à intervenir sera notifiée à la municipalité de Paris et à l’accusée. Fait au cabinet de l’accusateur-public, le premier jour de la troisième décade du premier mois de l’an second de la république une et indivisible.

Signé, FOUQUIER.

Le Tribunal, faisant droit sur le réquisitoire de l’accusateur-public, lui donne acte de l’accusation par lui portée contre Marie-Antoinette, dite Lorraine d’Autriche, veuve de Louis Capet.

En conséquence, ordonne qu’à sa diligence et par un huissier du tribunal, porteur de la présente ordonnance, ladite Marie-Antoinette, veuve de Louis Capet, sera prise au corps, arrêté et écrouée sur les registres de la maison d’arrêt, dite la conciergerie, à Paris, où elle est actuellement détenue, pour y rester comme en maison de justice ; comme aussi que la présente ordonnance sera notifiée, tant à la municipalité de Paris qu’à l’accusée.

Fait et jugé au tribunal, le second jour de la troisième décade du premier mois de l’an second de la république.

Armand-Martial-Joseph HERMAN, Etienne FOUCAULT, Gabriel-Toussaint SCELLIER, Pierre-André COFFINHAL, Gabriel DELIEGE, Pierre-Louis RAGMEY, Antoine-Marie MAIRE, François-Jospeh DENIZOT, Etienne MACON, tous juges du tribunal, qui ont signé.