Cahier des commensaux* et bourgeois de Troyes
vivant noblement
* Ce titre appartenait aux officiers domestiques des maisons royales. Les commensaux jouissaient de privilèges importants. Il était aussi porté par les ecclésiastiques attachés au service des évêques. Il doit s'agir ici, comme permet de le supposer le caractère religieux des questions traitées, de commensaux de cet ordre.
11 mars 1789
Les plaies d'un Etat demeurent incurables tant que la religion
ne contribue pas à les guérir. Si cette puissante influence des idées et des
sentiments religieux sur les corps politiques se trouve même dans les fausses
religions, avec quelle supériorité ne se montre-t-elle pas dans la seule religion
véritable ? Elle attache les citoyens à l'Etat et les unit entre eux par les
plus doux et les plus forts de tous les liens. Toutes les vertus chrétiennes
sont des vertus sociales, elles respirent toutes la paix et la concorde.
La religion chrétienne est la seule qui ait consacré l'autorité des rois en
faisant une loi de conscience, de l'amour et de la fidélité, dont leurs sujets
leur sont redevables. C'est là un des rayons de sa gloire.
Mais c'est aussi un des titres qui doivent la rendre chère et précieuse aux
têtes couronnées. Notre auguste Souverain connaît cette vérité, et la sagesse
qui le conduit n'aura pas manqué de lui en faire tirer cette conséquence, qu'il
est donc de son intérêt de maintenir les droits de la religion qui attache ses
sujets à sa personne sacrée, et, par un juste retour, de protéger par des lois
celle qui le protège par de salutaires influences. C'est donc entrer dans les
vues de Sa Majesté que de profiter de la liberté qu'elle donne à ses sujets
de lui manifester leurs désirs pour lui demander des lois telles que la religion
les demande.
ARTICLE
PREMIER. - Demander à Sa Majesté que les quatre articles de l'assemblée du Clergé
de France, du 19 mars 1682 (articles rédigés par Bossuet définissant les
libertés de l'église gallicane) soient solennellement confirmés dans l'assemblée
des Etats généraux.
Les bornes respectives des deux puissances y sont posées avec une admirable
sagesse ; et on ne peut ni les resserrer ni les reculer sans ébranler les fondements
de la concorde du sacerdoce et de l'empire. L'empereur n'aurait pas rencontré
tant d'oppositions à plusieurs règlements très sages s'il eût eu une semblable
barrière à opposer aux prétentions ultramontaines.
La déclaration qui contient ces quatre articles a été confirmée par un édit
du roi, registré au Parlement le 23 mars 1682. Mais cette loi, oubliée par les
uns, éludée par les autres, attaquée directement ou indirectement par des écrits
publics ou par de scandaleux exemples, objet de l'injuste trame d'une multitude
de Français par la naissance, ultramontains par les sentiments, a besoin d'une
nouvelle promulgation qui lui rende toute son énergie et tout son éclat.
ART.
2. - Supplier Sa Majesté de rendre la paix à l'église de France en retirant
les édits des mois d'avril 1664 et 1665 (édits portant que les bulles d'Innocent
X et d'Alexandre VII sur les cinq propositions de Jansénius seront publiées
dans le royaume, et que tous les ecclésiastiques, séculiers et réguliers, seront
tenus de souscrire le formulaire de condamnation du Jansénisme), qui ordonnent
la signature du formulaire d'Alexandre VII. Qui est-ce qui ignore les maux que
cette exaction a causés ? Et qui pourrait montrer les biens qu'elle a produits
?
1° Que Louis XIV ait cru voir une hérésie naissante menacer son royaume d'une invasion générale ; que, pour obvier à ce mal, il ait confirmé un décret inouï dont on lui cachait l'irrégularité et la bizarrerie, cela n'est pas étonnant. Le souvenir encore tout récent des troubles excités dans son royaume par une secte trop réelle aidait à la séduction. Mais, qu'après un siècle et demi de recherches inquiètes, d'une inquisition sévère, on s'obstine à croire à l'existence d'une prétendue secte dont on n'a pu découvrir ni le chef, ni les membres, ni les dogmes, c'est un aveuglement incroyable.
2° C'est à l'ombre de ce décret que l'on n'a pas rougi de contraindre des laïcs sans lettres et des religieuses à souscrire à la condamnation d'un livre (l'Augustinus, écrit par Jansénius) qu'ils ne peuvent lire, et à jurer que telles propositions qu'ils n'y peuvent voir y sont cependant contenues...
5° C'est en vertu du même décret que des ecclésiastiques distingués par leur piété et par leur science sont bannis du sanctuaire, parce qu'ils lisent dans ce livre le contraire de ce qu'on veut leur faire jurer y être contenu. C'est sous le même prétexte qu'on les présente aux yeux des peuples comme des hérétiques abominables dont on ne saurait trop fuir la société.
6° C'est en vertu de ce même décret qu'une multitude de jeunes gens, souvent sans éducation honnête, sans lumières et quelquefois sans moeurs comme sans morale, sont revêtus d'un caractère sacré et d'une autorité respectable parce qu'ils ont assez de hardiesse pour attester ce qu'ils ignorent et dont ils ne prendront peut-être jamais la peine de s'instruire.
7° Ce décret tient la science captive, éteint le goût des bonnes études en discréditant les livres les plus précieux, en rendant la science odieuse et suspecte, il en arrête les progrès salutaires. Il a inondé le royaume de dévotions arbitraires et ridicules que les ignorants substituent à une religion pleine de dignité et de grandeur...
10° C'est ce décret qui a détourné d'entrer dans le sein de l'église une foule de protestants, scandalisés de voir ériger en loi l'obligation de jurer contre sa conscience, et en dogme de foi une affaire de grammaire et de critique...
ART.
3. - Supplier Sa Majesté de remédier aux maux sans nombre qu'a causés et que
cause encore dans son royaume la bulle Unigenitus (bulle de 1713 condamnant
formellement le jansénisme ; ce fut pour en poursuivre l'application que des
mesures violentes furent prises contre les jansénistes au 18ème siècle)
du pape Clément XI, en ordonnant que cette bulle soit désormais regardée comme
non avenue...