Rapport du comité de constitution
sur les cahiers de doléances
27 juillet 1789
Analyse - Résultat du dépouillement
Rapport lu par le comte de Clermont-Tonnerre devant l'Assemblée Nationale.
Messieurs, vous êtes appelés à régénérer l'empire français ; vous apportez à ce grand oeuvre et votre propre sagesse, et la sagesse de vos commettants.
Nous avons cru devoir d'abord rassembler et vous présenter les lumières éparses dans le plus grand nombre de vos cahiers. Nous vous présenterons ensuite, et les vues particulières de votre comité, et celles qu'il a pu ou pourra recueillir encore dans les divers plans, dans les diverses observations qui lui ont été ou qui lui seront communiquées ou remises par les membres de cette auguste assemblée.
C'est de la première partie de ce travail, Messieurs, que nous allons vous rendre compte.
Nos commettants, Messieurs, sont tous d'accord sur un point : ils veulent la régénération de l'Etat ; mais les uns l'ont attendue de la simple réforme des abus et du rétablissement d'une constitution existante depuis 14 siècles, et qui leur a paru pouvoir revivre encore, si l'on réparait les outrages que lui ont faits le temps et les nombreuses insurrections de l'intérêt personnel contre l'intérêt public.
D'autres ont regardé le régime social existant comme tellement vicieux, qu'ils ont demandé une constitution nouvelle, et qu'à l'exception du gouvernement et des formes monarchiques, qu'il est dans le coeur de tout Français de chérir et de respecter, et qu'ils vous ont ordonné de maintenir, ils vous ont donné tous les pouvoirs nécessaires pour créer une constitution, et asseoir sur des principes certains et sur la distinction et constitution régulière de tous les pouvoirs, la prospérité de l'empire français.
Ceux-là, Messieurs, ont cru que le premier chapitre de la constitution devait contenir la déclaration des droits de l'homme, de ces droits imprescriptibles, pour le maintien desquels la société fut établie.
La demande de cette déclaration des droits de l'homme, si constamment méconnus, est, pour ainsi dire, la seule différence qui existe entre les cahiers qui désirent une constitution nouvelle, et ceux qui ne demandent que le rétablissement de ce qu'ils regardent comme la constitution existante.
Les uns et les autres ont également fixé leurs idées sur les principes du gouvernement monarchique, sur l'existence du pouvoir et sur l'organisation du corps-législatif, sur la nécessité du consentement national à l'impôt, sur l'organisation des corps administratifs, et sur les droits des citoyens.
Nous allons, Messieurs, parcourir ces divers objets, et vous offrir sur chacun d'eux, comme décisions, les résultats uniformes et comme questions à examiner, les résultats différents ou contradictoires que nous ont présentés ceux de vos cahiers dont il nous a été possible de faire ou de nous procurer le dépouillement.
1° Le gouvernement monarchique, l'inviolabilité de la personne sacrée du roi, et l'hérédité de la couronne de mâle en mâle, sont également reconnus et consacrés par le plus grand nombre des cahiers, et ne sont mis en question dans aucun.
2° Le roi est également reconnu comme dépositaire de toute la plénitude du pouvoir exécutif.
3° La responsabilité de tous les agents de l'autorité est demandée généralement.
4° Quelques cahiers reconnaissent au roi le pouvoir législatif, limité par les lois constitutionnelles et fondamentales du royaume ; d'autres reconnaissent que le roi, dans l'intervalle d'une assemblée d'Etats-Généraux à l'autre, peut faire seul les lois de police ou d'administration, qui ne seront que provisoires, et pour lesquelles ils exigent l'enregistrement libre dans les cours souveraines. Un bailliage a même exigé que l'enregistrement ne pût avoir lieu qu'avec le consentement des deux tiers des commissions intermédiaires des assemblées de districts.
Le plus grand nombre des cahiers reconnaît la nécessité de la sanction royale pour la promulgation des lois.
Quant au pouvoir législatif, la pluralité des cahiers le reconnaît comme résidant dans la représentation nationale, sous la clause de la sanction royale ; et il paraît que cette maxime ancienne des capitulaires, lex fit consensus populi et constitutione regis, est presque généralement consacré par vos commettants.
Quant à l'organisation de la représentation nationale, les questions sur lesquelles vous avez à prononcer, se rapportent à la convocation, ou à la durée, ou à la composition de la représentation nationale, ou au mode de délibération que lui proposaient vos commettants.
Quant à la convocation, les uns ont déclaré que les Etats-Généraux ne pouvaient être dissous que par eux-mêmes ; les autres, que le droit de convoquer, proroger et dissoudre, appartenait au roi, sous la seule condition, en cas de dissolution, de faire sur-le-champ une nouvelle convocation.
Quant à la durée, les uns ont demandé la périodicité des Etats-Généraux, et ils ont voulu que le retour périodique ne dépendît ni des volontés, ni de l'intérêt des dépositaires de l'autorité ; d'autres, mais en plus petit nombre, ont demandé la permanence des Etats-Généraux, de manière que la séparation des membres n'entraînât pas la dissolution des Etats.
Le système de la périodicité a fait naître une seconde question : Y aura-t-il ou n'y aura-t-il pas de commission intermédiaire pendant l'intervalle des séances ? La majorité de vos commettants a regardé l'établissement d'une commission intermédiaire comme un établissement dangereux.
Quant à la composition, les uns ont tenu à la séparation des trois ordres ; mais à cet égard, l'extension des pouvoirs qu'ont déjà obtenue plusieurs représentants, laisse sans doute une plus grande latitude pour la solution de cette question.
Quelques bailliages ont demandé la réunion des deux premiers ordres dans une même chambre ; d'autres, la suppression du clergé et la division de ses membres dans les deux autres ordres ; d'autres, que la représentation de la noblesse fut double de celle du clergé, et que toutes deux réunies fussent égales à celle des communes.
Un bailliage, en demandant la réunion des deux premiers ordres, a demandé l'établissement d'un troisième, sous le titre d'ordre des campagnes ; il a été également demandé que toute personne exerçant charge, emploi ou place à la cour, ne pût pas être députée aux Etats-Généraux ; enfin, l'inviolabilité de la personne des députés est reconnue par le plus grand nombre des bailliages, et n'est contestée par aucun. Quant au mode de délibération, la question de l'opinion par tête et de l'opinion par ordre est résolue ; quelques bailliages demandent les deux tiers des opinions pour former une résolution.
La nécessité du consentement national à l'impôt, est généralement reconnue par vos commettants, établie par tous vos cahier : tous bornent la durée de l'impôt au terme que vous lui aurez fixé, terme qui ne pourra jamais s'étendre au-delà d'une tenue à l'autre ; et cette clause impérative a paru à tous vos commettants le garant le plus sûr de la perpétuité de vos assemblées nationales.
L'emprunt n'étant qu'un impôt indirect, leur a paru devoir être assujetti aux mêmes principes.
Quelques bailliages ont excepté des impôts à terme, ceux qui auraient pour objet la liquidation de la dette nationale, et ont cru qu'ils devraient être perçus jusqu'à sont entière extinction.
Quant aux corps administratifs, ou états provinciaux, tous les cahiers vous demandent leur établissement, et la plupart s'en rapportent à votre sagesse sur leur organisation.
Enfin, les droits des citoyens, la liberté, la propriété, sont réclamés avec force par toute la nation française. Elle réclame pour chacun de ses membres l'inviolabilité des propriétés particulières, comme elle réclame pour elle-même l'inviolabilité de la propriété publique ; elle réclame dans toute son étendue la liberté individuelle, comme elle vient d'établir à jamais la liberté nationale ; elle réclame la liberté de la presse, ou la libre communication des pensées ; elle s'élève avec indignation contre les lettres-de-cachet, qui disposaient arbitrairement des personnes, et contre la violation du secret de la poste, l'une des plus absurdes et des plus infâmes inventions du despotisme.
Au milieu de ce concours de réclamations, nous avons remarqué, Messieurs, quelques modifications particulières relatives et aux lettres de cachet et à la liberté de la presse.
Vous les pèserez dans votre sagesse ; vous rassurerez sans doute ce sentiment de l'honneur français, qui, par son horreur pour la honte, à quelquefois méconnu la justice, et qui mettra sans doute autant d'empressement à se soumettre à la loi, lorsqu'elle commandera aux forts, qu'il en mettait à s'y soustraire lorsqu'elle ne pesait que sur les faibles.
Vous calmerez les inquiétudes de la religion, si souvent outragée par des libelles dans le temps du régime prohibitif ; et le clergé se rappelant que la licence fut longtemps la compagne de l'esclavage, reconnaîtra lui-même que le premier et le naturel effet de la liberté, est le retour de l'ordre, de la décence et du respect pour les objets de la vénération publique.
Tel est, Messieurs, le compte que votre comité a cru devoir vous rendre de la partie de vos cahiers qui traite de la constitution ; vous y trouverez sans doute toutes les pierres fondamentales de l'édifice que vous être chargés d'élever à toute sa hauteur ; mais vous y désirerez peut-être cet ordre, cet ensemble de combinaisons politiques, sans lequel le régime social présentera toujours de nombreuses défectuosités.
Les pouvoirs y sont indiqués, mais ne sont pas encore distingués avec la précision nécessaire. L'organisation de la représentation nationale n'y est pas suffisamment établie ; les principes de l'éligibilité n'y sont point posés : c'est de votre travail que naîtront ces résultats.
La nation a voulu être libre ; et c'est vous qu'elle a chargé de son affranchissement : le génie de la France a précipité, pour ainsi dire, la marche de l'esprit public ; il a accumulé pour vous, en peu d'heures, l'expérience que l'on pouvait à peine attendre de plusieurs siècles. Vous pouvez, Messieurs, donner une constitution à la France ; le roi et le peuple la demandent ; l'un et l'autre l'ont méritée.
Résultat du dépouillement des cahiers
Principes avoués.
Art. 1er. Le gouvernement français est un gouvernement monarchique.
II. La personne du roi est inviolable et sacrée.
III. Sa couronne est héréditaire de mâle en mâle.
IV. Le roi est dépositaire du pouvoir exécutif.
V. Les agents de l'autorité sont responsables.
VI. La sanction royale est nécessaire pour la promulgation des lois.
VII. La nation fait loi avec la sanction royale.
VIII. Le consentement national est nécessaire à l'emprunt et à l'impôt.
IX. L'impôt ne peut être accordé que d'une tenue d'Etats-Généraux à l'autre.
X. La propriété est sacrée.
XI. La liberté individuelle est sacrée.
Questions sur lesquelles l'universalité des cahiers
ne s'est point expliquée d'une manière uniforme.
Art. Ier. Le roi a-t-il le pouvoir législatif, limité par les lois constitutionnelles du royaume.
II. Le roi peut-il faire seul des lois provisoires de police et d'administration dans l'intervalle des tenues des Etats-Généraux ?
III. Ces lois seront-elles soumises à l'enregistrement libre des Cours souveraines ?
IV. Les Etats-Généraux ne peuvent-ils être dissous que par eux-mêmes ?
V. Le roi peut-il seul convoquer, proroger et dissoudre les Etats-Généraux ?
VI. En cas de dissolution, le roi est-il obligé de faire sur-le-champ une nouvelle convocation ?
VII. Les Etats-Généraux seront-ils permanents ou périodiques ?
VIII. S'ils sont périodiques, y aura-t-il ou n'y aura-t-il pas une commission intermédiaire ?
IX. Les deux premiers ordres seront-ils réunis dans une même chambre ?
X. Les deux chambres seront-elles formées sans distinction d'ordre ?
XI. Les membres de l'ordre du clergé seront-ils répartis dans les deux autres ordres ?
XII. La représentation du clergé, de la noblesse et des communes, sera-t-elle dans la proportion d'une, deux ou trois ?
XIII. Sera-t-il établi un troisième ordre, sous le titre d'ordre des campagnes ?
XIV. Les personnes possédant charges, emplois ou places à la cour, peuvent-elles être députées aux Etats-Généraux ?
XV. Les deux tiers des voix seront-ils nécessaires pour former une résolution ?
XVI. Les impôts ayant pour objet la liquidation de la dette nationale, seront-ils perçus jusqu'à son entière extinction ?
XVII. Les lettres-de-cachet seront-elles abolies ou modifiées ?
XVIII. La liberté de la presse sera-t-elle indéfinie ou modifiée ?