Cahier de doléances du tiers-état de Paris
Avril 1789
Observations
préliminaires
Déclaration des droits
Constitution
Finances
Agriculture
Commerce
Juridiction consulaire
Clergé, hôpitaux et éducation
Législation
En matière criminelle
Municipalités
L'assemblée générale des électeurs du tiers-état de la ville de Paris, avant de procéder aux choix de ses représentants, et de les revêtir de ses pouvoirs, doit exprimer ses regrets sur une convocation trop tardive, qui l'a forcé de précipiter ses opérations.
Comme Français, les électeurs s'occuperont d'abord des droits et des intérêts de la nation ; comme citoyens de Paris, ils présenteront ensuite leurs demandes particulières.
L'instruction qu'ils vont confier au patriotisme et au zèle de leurs représentants, se divise naturellement en six parties : la première portera sur la constitution ; la seconde sur les finances ; la troisième sur l'agriculture, le commerce et la juridiction consulaire ; la quatrième sur la religion, le clergé, l'éducation, les hôpitaux et les murs ; la cinquième, sur la législation ; la sixième, sur les objets particuliers à la ville de Paris.
Nous prescrivons à nos représentants de se refuser invinciblement
à tout ce qui pourrait offenser la dignité de citoyens libres,
qui viennent exercer les droits souverains de la nation.
L'opinion publique paraît avoir reconnu la nécessité de
la délibération par tête, pour corriger les inconvénients
de la distinction des ordres, pour faire prédominer l'esprit public,
pour rendre plus facile l'adoption des bonnes lois.
Les représentants de la ville de Paris se souviendront de la fermeté
qu'ils doivent apporter sur ce point ; ils la regarderont comme un droit rigoureux,
comme l'objet d'un mandat spécial.
Il leur est enjoint expressément de ne consentir à aucune subside,
à aucun emprunt, que la déclaration des droits de la nation ne
soit passée en loi, et que les bases premières de la constitution
ne soient convenues et assurées.
Ce premier devoir rempli, ils procéderont à la vérification
de la dette publique et à sa consolidation.
Ils demanderont que tout objet d'un intérêt majeur soit mis deux
fois en délibération, à des intervalles proportionnés
à l'importance des questions, et ne puisse être décidé
que par la pluralité absolue des voix, c'est-à-dire par plus de
la moitié des suffrages.
Dans toute société politique, tous les hommes sont égaux en droits.
Tout pouvoir émane de la nation, et ne peut être exercé que pour son bonheur.
La volonté générale fait la loi ; la force publique en assure l'exécution.
La nation peut seule concéder le subside ; elle a le droit d'en déterminer la quotité, d'en limiter la durée, d'en faire la répartition, d'en assigner l'emploi, d'en demander le compte, d'en exiger la publication.
Les lois n'existent que pour garantir à chaque citoyen la propriété de ses biens et la sûreté de sa personne.
Toute propriété est inviolable. Nul citoyen ne peut être arrêté ni puni que par un jugement légal.
Nul citoyen, même militaire, ne peut être destitué sans un jugement.
Tout citoyen a le droit d'être admis à tous les emplois, professions et dignités.
La liberté naturelle, civile, religieuse de chaque homme ; sa sûreté personnelle, son indépendance absolue de tout autre autorité que celle de la loi, excluent toute recherche sur ses opinions, ses discours, ses écrits, ses actions, autant qu'ils ne troublent pas l'ordre public, et ne blessent pas les droits d'autrui.
En conséquence de la déclaration des droits de la nation, nos représentants demanderont expressément l'abolition de la servitude personnelle, sans aucune indemnité ; de la servitude réelle, en indemnisant les propriétaires ; de la milice forcée ; de toutes les commissions extraordinaires ; de la violation de la loi publique dans les lettres confiées à la poste ; et de tous les privilèges exclusifs, si ce n'est pour les inventeurs, à qui ils ne seront accordés que pour un temps déterminé.
Par une suite de ces principes, la liberté de la presse doit être accordée, sous la condition que les auteurs signeront leurs manuscrits ; que l'imprimeur en répondra, et que l'un et l'autre seront responsables des suites de la publication.
La déclaration de ces droits naturels, civils et politiques, telle qu'elle sera arrêtée dans les Etats-Généraux, deviendra la charte nationale et la base du gouvernement français.
Dans la monarchie française, la puissance législative appartient à la nation, conjointement avec le roi ; au roi seul appartient la puissance exécutrice.
Nul impôt ne peut être établi que par la nation.
Les Etats-Généraux seront périodiquement de trois ans en trois ans, sans préjudice des tenues extraordinaires.
Ils ne se sépareront jamais sans avoir indiqué le jour, le lieu de leur prochaine tenue, et l'époque de leurs assemblées élémentaires qui doivent procéder à de nouvelles élections.
Au jour fixé, ces assemblées se formeront sans autre convocation.
Toute personne qui sera convaincue d'avoir fait quelque acte tendant à empêcher la tenue des Etats-Généraux, sera déclarée traître à la patrie, coupable du crime de lèse-nation, et punie comme telle par le tribunal qu'établiront les Etats-Généraux actuels.
L'ordre et la forme de la convocation et de la représentation nationale seront fixés par une loi.
En attendant l'union si désirable des citoyens de toutes les classes en une représentation et délibération commune et générale, les citoyens du tiers-état auront au moins la moitié des représentants.
Il ne sera nommé, dans l'intervalle des Etats-Généraux, aucun commission revêtue de pouvoirs quelconques, mais seulement des bureaux de recherche et d'instruction, sans autorité, même provisoire, pour se procurer des renseignements utiles, et préparer le travail des Etats-Généraux subséquents. Nos représentants appuieront la demande de la colonie de Saint-Domingue, d'être admise aux Etats-Généraux : ils demanderont que les députés des autres colonies soient également admis, comme étant composées de nos frères, et comme devant participer à tous les avantages de la constitution française.
Dans l'intervalle des tenues d'Etats-Généraux, il ne pourra être fait que des règlements provisoires pour l'exécution de ce qui aura été arrêté dans les précédents Etats-Généraux, et ces règlements ne pourront être érigés en lois que dans les Etats-Généraux subséquents.
La personne du monarque est sacrée et inviolable. La succession au trône est héréditaire dans la race régnante, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l'exclusion des femmes ou de leurs descendants, tant mâles que femelles, et ne peut échoir qu'à un prince né français en légitime mariage, et régnicole.
A chaque renouvellement d'époque, les députés aux derniers Etats-Généraux se rassembleront de droit, et sans autre convocation. La régence, dans tous les cas, ne pourra être conférée que par eux.
Les Etats-Généraux actuels décideront à qui appartiendra par provision, et jusqu'à la tenue des Etats-Généraux, l'exercice de la régence, dans tous les cas où il pourra y avoir lieu de la conférer.
A chaque renouvellement de règne, le roi prêtera à la nation, et la nation au roi, un serment, dont la formule sera fixée par les Etats-Généraux actuels.
Aucun citoyen ne pourra être arrêté, ni son domicile violé, en vertu de lettres de cachet, ou de tout autre ordre émané du pouvoir exécutif, à peine, contre toutes personnes qui les auraient sollicitées, contresignées, exécutées, d'être poursuivies extraordinairement, et punies de peine corporelle, sans préjudice des dommages et intérêts, pour lesquels elles seront solidaires envers les parties.
Les mêmes peines auront lieu contre quiconque aura sollicité, accordé ou exécuté des arrêts du propre mouvement.
Les ministres, ordonnateurs, administrateurs en chef de tous les départements, seront responsables, envers la nation assemblée en Etats-Généraux, de toute malversation, abus de pouvoir et mauvais emploi de fonds.
Tout le royaume sera divisé en assemblées provinciales, formées de membres de la province, librement élus dans toutes les classes, et d'après la proportion qui sera réglée.
L'administration publique, en tout ce qui concerne la répartition, la perception des impôts, l'agriculture, le commerce, les manufactures, les communications, les divers genres d'amélioration, l'instruction, les murs, sera confiée aux assemblées provinciales.
Les villes, les bourgs et villages auront des municipalités électives, auxquelles appartiendra pareillement l'administration de leurs intérêts locaux.
Les assemblées provinciales et les municipalités ne pourront ni accorder des subsides, ni faire des emprunts. Tous les membres qui les composeront seront pareillement responsables de toute délibération qu'ils auraient prise à cet égard.
Le pouvoir judiciaire doit être exercé en France, au nom du roi, par des tribunaux composés de membres absolument indépendants de tout acte du pouvoir exécutif.
Tout changement dans l'ordre et l'organisation des tribunaux ne peut appartenir qu'à la puissance législative.
Les nobles pourront, sans dérogeance, faire le commerce, et embrasser toutes les professions utiles.
Il n'y aura plus aucun anoblissement, soit par charge, soit autrement.
Il sera établi par les Etats-Généraux, une récompense honorable et civique, purement personnelle, et non héréditaire, laquelle, sur leur présentation, sera déférée, sans distinction, par le roi, aux citoyens de toutes les classes qui l'auront méritée par l'éminence de leurs vertus patriotiques, et par l'importance de leurs services.
Les lois formées dans les Etats-Généraux seront, sans délai, inscrites sur les registres des cours supérieures, et de tous les autres tribunaux du royaume comme aussi sur les registres des assemblées provinciales et municipales, et elles seront publiées et exécutées dans tout le royaume.
La constitution qui sera faite dans les Etats-Généraux actuels, d'après les principes que nous venons d'exposer, sera la propriété de la nation, et ne pourra être changée ou modifiée que par le pouvoir constitutif, c'est-à-dire, par la nation elle-même, ou par ses représentants, qui seront nommés ad hoc par l'universalité des citoyens, uniquement pour travailler au complément et au perfectionnement de cette constitution.
La charte de la constitution sera gravée sur un monument public élevé à cet effet. La lecture en sera faite en présence du roi à son avènement au trône, sera suivie de son serment, et la copie insérée dans le procès-verbal de la prestation de ce serment. Tous les dépositaires du pouvoir exécutif, soit civil, soit militaire, les magistrats des tribunaux supérieurs et inférieurs, les officiers de toutes les municipalités du royaume, avant d'entrer dans l'exercice des fonctions qui leur seront confiées, jureront l'observation de la charte nationale. Chaque année, et au jour anniversaire de sa sanction, elle sera lue et publiée dans les églises, dans les tribunaux, dans les écoles, à la tête de chaque corps militaire et sur les vaisseaux, et ce jour sera un jour de fête solennelle dans tous les pays de la domination française.
Art. Ier. tous les impôts qui se perçoivent actuellement, seront déclarés nuls et illégaux ; et cependant, par le même acte, ils seront provisoirement rétablis, pour ne durer que jusqu'au jour qui aura été fixé par les États-Généraux pour leur cessation, et pour le commencement de la perception des subsides qu'ils auront librement établis.
Il. La dette du roi sera vérifiée ; et, après l'examen consolidée et déclarée dette nationale ; et pour faciliter son acquit, et en diminuer le poids, il sera arrêté que la nation rentrera dans les domaines engagés, vendus ou inféodés depuis 1566. A l'égard des échanges, les États-Généraux ordonneront la révision de ceux qui ne sont pas revêtus de toutes les formalités légales, pour prendre ensuite le parti qu'ils jugeront le plus avantageux à la nation sur ces échanges…
III. Les habitants de la capitale déclarent renoncer expressément à leurs privilèges, soit sur les droits d'entrée des productions de leurs terres, soit sur les terrains de leurs habitations et jardins d'agrément, et de leur exploitation.
IV. Toute imposition distinctive quelconque, soit réelle ou personnelle, telle que taille, franc-fief, capitation, milice, corvée, logement des gens de guerre, et autres, sera supprimée et remplacée, suivant le besoin, en impôts généraux, supportés également par les citoyens, de toutes les classes.
V. Les traites ne seront perçues qu'à l'entrée du royaume, où les barrières seront reculées.
VI. Les États-Généraux s'occuperont essentiellement de la suppression des impôts désastreux des aides et gabelles, et des moyens de les remplacer.
Ils s'occuperont de la suppression de la ferme du tabac, et du remplacement en un autre impôt.
VII. Les États-Généraux, dans le remplacement net des impôts, s'occuperont principalement d'impositions directes, qui porteront sur tous les citoyens, sur toutes les provinces, et dont la perception sera la plus simple et la moins dispendieuse.
Art. Ier. Les Etats-Généraux sont spécialement et instamment invités par l'assemblée, à prendre, le plus tôt qu'il sera possible, en considération, la cherté actuelle des grains ; à en rechercher attentivement la cause et les auteurs, et à s'occuper des moyens d'y remédier efficacement, et pour toujours.
Il. Les États-Généraux prendront en considération les moyens d'assurer la propriété des communaux, et d'améliorer le produit.
III. Les États-Généraux prendront en considération le dessèchement des marais.
IV. Les États-Généraux prendront en considération les moyens d'opérer la destruction des pigeons, qui sont le fléau de l'agriculture.
V. Tout propriétaire aura le droit d'enclore son héritage ; d'y cultiver tous les végétaux qu'il jugera à propos, et d'y fouiller toutes les mines et carrières qui s'y trouveront.
VI. Les capitaineries s'étendent sur quatre cents lieues carrées, et peut-être plus : elles sont un fléau continuel de l'agriculture. La liberté, lu propriété, y sont dégradées et anéanties : les bêtes y sont préférées aux hommes, et la force y contrarie sans cesse les bienfaits de la nature.
Les députés seront spécialement chargés de demander la totale abolition des capitaineries ; elles sont, dans leur établissement, tellement en opposition à tout principe de morale, qu'elles ne peuvent être tolérées, sous prétexte d'adoucissement dans leur régime.
VII. Il est du droit naturel que tout propriétaire puisse détruire sur son héritage le gibier et les animaux qui peuvent être nuisibles. À l'égard du droit de chasse, et des moyens qu'on peut employer, soit pour la suppression, soit pour la conservation de ce droit , en supprimant les abus d'une manière facile, l'assemblée s'en rapporte à la sagesse des États-Généraux.
(…)
Art. Ier. Les différents traités de commerce faits entre la France et les puissances étrangères, seront examinés par les États-Généraux, pour en connaître et balancer les résultats relativement à la France ; et il ne pourra en être conclu aucun à l'avenir, ,sans que le projet en ait été communiqué à toutes les chambres de commerce du royaume, et aux États-Généraux.
II. Il sera établi dans les principales villes une chambre de commerce, composée de vingt négociants, marchands, fabricants, artistes-mécaniciens, artisans des plus recommandables, au secrétariat de laquelle seront déposés toutes les lois, règlements, statuts et tarifs de France et de l'étranger, concernant le commerce, ou qui pourront l'intéresser.
III. On affranchira les marchandises nationales, exportées à l'étranger, de tout droit de sortie, et on assujettira les marchandises provenant des fabriques étrangères, à un droit d'entrée dans le royaume relatif à leur nature et à leur valeur.
IV. On défendra la sortie hors le royaume des matières premières propres a nos manufactures, et on exemptera de droits les matières premières propres à nos manufactures, venant de l'étranger.
V. On demandera qu'il soit accordé des primes aux marchandises de nos fabriques qui seront exportées chez l'étranger.
VI. La disette de bois exige que l'exploitation des minés de tourbe et de charbon de terre soit encouragée.
VII. On proposera aux États-Généraux de déterminer s'il convient, pour le plus grand avantage du commerce, de se conformer rigoureusement aux règlements faits pour les manufactures, ou d'en modifier les dispositions, ou enfin d'accorder aux fabricants une liberté indéfinie.
VIII. Et dans le cas où cette liberté ne serait pas accordée, les inspecteurs et sous-inspecteurs des manufactures seront choisis par les chambres de commerce, à la pluralité des voix, et ils seront tenus d'y faire le rapport de leurs visites, toutes les fois qu'ils en seront requis.
IX. Tous les droits de péage, pontonage, et autres de cette nature, seront dès à présent supprimés provisoirement, sauf à rembourser les propriétaires fondés en titres constitutifs.
X. Les droits d'octrois des villes tant qu'ils subsisteront, ne pourront être perçus sur les marchandises en passe-debout, et ne pourront l'être que sur les objets de consommation des villes.
XI. L'impôt appelé droit de marque sur les cuirs, en détruisant en France les tanneries et le commerce de cuirs, nous force d'en tirer de l'étranger : il est nécessaire de supprimer cet impôt, ainsi que celui de la marque sur les fers.
XII. Aucune refonte des monnaies, ni aucuns changements dans le titre et dans la valeur, ne pourront être faits sans le consentement des États-Généraux.
XIII. On établira dans tout le royaume l'uniformité des poids et mesures, etc.
Juridiction consulaire, et objets y relatifs.
Art. Ier. L'ordonnance de 1675 sera entièrement refondue, et il sera fait un code général pour le commerce.
(…)
Religion, clergé, hôpitaux, éducation et mœurs.
Art. Ier. La religion, nécessaire à l'homme, l'instruit dans son enfance, réprime ses passions dans tous les âges de la vie, le soutient dans l'adversité, le console dans la vieillesse. Elle doit être considérée dans ses rapports avec le gouvernement qui l'a reçue, et avec la personne qui la professe.
Ses ministres, comme membres de l'État, sont sujets aux lois ; comme possesseurs de biens, sont tenus de partager toutes les charges publiques ; comme attachés spécialement au culte divin, doivent l'exemple et la leçon de toutes les vertus.
Il. La religion est reçue librement dans l'État, sans porter aucune atteinte à sa constitution. Elle s'établit par la persuasion, jamais par la contrainte.
III. La religion chrétienne ordonne la tolérance civile. Tout citoyen doit jouir de la liberté particulière de sa conscience ; l'ordre public ne souffre qu'une religion dominante.
IV. La religion catholique est la religion dominante en France ; elle n'y a été reçue que suivant la pureté de ses maximes primitives : c'est le fondement des libertés de l'église gallicane.
V. Que l'article II de l'ordonnance d'Orléans, qui défend tout transport de deniers à Rome, sous couleur d'annate, vacans ou autrement, soit exécuté selon sa forme et teneur.
VI. La juridiction ecclésiastique ne s'étend, en aucune manière, sur le temporel ; son exercice extérieur est réglé par les lois de l'État.
VII. Que l'article V de l'ordonnance d'Orléans, sur la nécessité de la résidence des archevêques, évêques, abbés séculiers et réguliers ; et curés, soit observé, et qu'ils n'en soient jamais dispensés, même pour service à la cour ou dans les conseils du roi, mais seulement pour l'assistance aux conciles.
VIII. Que les chanoines soient pareillement tenus à résidence dans leurs églises, et sous les mêmes peines.
IX. Que nul ecclésiastique pourvu de bénéfices, ou jouissant de pensions sur iceux, produisant 3 mille livres de revenu, ne puisse tenir aucun autre bénéfice ou pension.
X. Les vœux de religion qui seront faits à l'avenir ne lieront point les religieux et religieuses au monastère, et ne feront perdre aucun des droits civils. Ne pourront lesdits religieux et religieuses disposer de leurs biens mobiliers ou immobiliers en faveur desdits monastères, etc.
XI. Il sera établi dans les villages ayant plus de cent feux, un maître et une maîtresse d'école, pour donner des leçons gratuites à tous les enfants de l'un et de l'autre sexe, et une sœur de charité pour soigner les malades.
XII. Les fonds pour le paiement desdits maîtres et maîtresses d'école, et sœurs de charité, approvisionnement de livres et papiers pour l'école ,fournitures gratuites de médicaments pour les pauvres, seront pris par addition sur les fonds destinés aux réparations des églises et presbytères.
XIII. Toutes les maisons de jeu et les loteries seront supprimées comme contraires aux bonnes mœurs, et funestes à toutes les classes de la société.
XIV. Les Etats-Généraux prendront en considération les moyens d'opérer la réforme et la restauration des mœurs.
XV. Il est expressément défendu, sous la loi de l'honneur, à tout député des Etats-Généraux d'accepter, soit pendant leur tenue, soit dans les trois années qui suivent, aucunes grâces, gratifications et pensions pour eux ou pour leurs enfants.
Art. Ier. L'objet des lois est d'assurer la liberté et la propriété. Leur perfection est d'être humaines et justes, claires et générales, d'être assorties aux mœurs et au caractère national, de protéger également les citoyens de toutes les classes et de tous les ordres, et de frapper, sans distinction de personnes, sur quiconque viole l'ordre public ou les droits des individus.
II. Un assemblage informe de lois romaines et de coutumes barbares, de règlements et d'ordonnances sans rapport. avec nos mœurs, comme sans unité de principes, conçu dans des temps d'ignorance et de trouble, pour des circonstances et un ordre de choses qui n'existent plus, ne peut former une législation digne d'une grande nation, éclairée de toutes les lumières que le génie, la raison et l'expérience ont répandues sur tous les objets.
II. Il sera donc proposé aux États-Généraux d'établir un ou plusieurs comités, composés de magistrats, de jurisconsultes et de citoyens éclairés, choisis dans les différentes classes de la nation, lesquels s'occuperont de refondre toutes les lois anciennes et nouvelles, civiles et criminelles, et de former autant qu'il sera possible, une loi universelle, qui embrasse toutes les matières et gouverne toutes les propriétés et toutes les personnes soumises à la domination Française. Les États-Généraux recommanderont surtout à ces comités de travailler d'abord à la réformation et à la simplification de la procédure civile et criminelle.
IV. Et cependant, sans attendre la fin d'un travail qui sera nécessairement très long, les Etats-Généraux s'occuperont dès à présent de la suppression des commissions du conseil, de celle des commissaires départis, des chambres ardentes, et successivement de tous les tribunaux d'exception, dont les fonctions reviendront aux tribunaux ordinaires.
V. Il sera choisi par les habitants, dans les arrondissements de cinq ou six bourgs ou villages, un certain nombre de notables, honorés de la confiance publique, lesquels jugeront sur-le-champ, sans frais et sans appel, les contestations journalières qui s'élèvent dans les campagnes à l'occasion des rixes, des petits vols de fruits, des dommages faits aux arbres et aux récoltes, du glanage, des anticipations et entreprises des laboureurs sur les héritages voisins, et toutes les causes qui n'excéderont pas vingt-cinq liv. Les notables pourront juger sans appel toutes les autres contestations où les deux parties consentiront de s'en rapporter à leur arbitrage.
Les rapports des instances et procès ne pourront se faire qu'en présence des parties et de leurs défenseurs.
Les juges, même ceux des cours supérieures, seront tenus d'opiner à voix haute, soit dans les audiences, soit au rapport, et de motiver chacune des dispositions essentielles de leurs jugements.
Les épices et vacations seront supprimées, sauf à pourvoir aux honoraires des juges ; et l'arrêt du conseil qui commande aux juges de se taxer des épices, à peine d'amende, sera révoqué.
1° Aucun citoyen domicilié ne pourra être arrêté ni même obligé de comparaître devant aucun magistrat, sans un décret émané du juge compétent, excepté dans les cas où il aurait été pris en flagrant délit ou arrêté à la clameur publique par les gardes chargés de veiller à la sûreté et à la tranquillité publiques ; et dans ce cas, le citoyen arrêté sera mené sur-le-champ, et dans les vingt-quatre heures au plus tard, devant le tribunal compétent, qui décernera un décret, s'il y a lieu, pour le constituer prisonnier ; ou le renverra, s'il n'y a aucune preuve de délit.
2° Nul citoyen ne pourra être décrété de prise de corps, que pour un délit qui emporte peine corporelles.
3° Tout accusé aura, même avant le premier interrogatoire, le droit de se choisir des conseils.
4° Le serment exigé des accusés étant évidemment contraire au sentiment naturel qui attache l'homme à sa propre conservation, n'est qu'une violence faite à la nature humaine, inutile pour découvrir la vérité, et propre seulement à affaiblir l'horreur du parjure. La raison et l'intérêt des mœurs exigent donc que ce serment soit supprimé.
5° La publicité des procédures criminelles, établie autrefois en France, et en usage dans tous les temps, chez presque toutes les nations éclairées, sera rétablie, et l'on fera désormais l'instruction, portes ouvertes, et l'audience tenant.
6° En matière criminelle, le jugement du fait sera toujours séparé du jugement du droit. L'institution des jurés, pour le jugement du fait, paraissant la plus favorable à la sûreté personnelle et à la liberté publique, les États-Généraux chercheront par quels moyens on pourrait adapter cette institution à notre législation.
7° Tous les tribunaux, sans distinction, seront tenus d'énoncer dans les arrêts et sentences de condamnation, sous peine de nullité, la nature du délit et les chefs de l'accusation, d'indiquer les preuves sur lesquelles ils auront prononcé leur jugement, et citer le texte de la loi qui prononce la peine.
8° La législation, en établissant des peines contre le coupable qui aura violé la loi, doit aussi établir une réparation pour l'innocence injustement accusée. Ainsi, tout accusé déchargé des accusations intentées contre lui, pourra réclamer la publication et l'affiche du jugement, et des indemnités proportionnées au dommage qu'il aura souffert dans son honneur, sa santé ou sa fortune. Cette indemnité sera prise sur les biens des dénonciateurs ou accusateurs, et subsidiairement sur des fonds publics assignés pour cet objet.
9° La confiscation n'aura plus lieu ; les biens du condamné passeront aux héritiers, les frais et les dommages-intérêts pris sur iceux.
10° La modération des lois pénales caractérise la douceur des mœurs et la liberté des gouvernements. L'observation a prouvé que l'extrême sévérité des peines a des effets directement contraires au but même de la loi ; qu'elle tend à endurcir les âmes et à rendre les mœurs cruelles, en familiarisant l'imagination avec des spectacles atroces ; qu'elle diminue l'horreur du crime, et en favorise souvent l'impunité, en excitant la compassion en faveur du criminel. Il sera donc fait une loi pour supprimer toute torture préalable à l'exécution, et tout supplice qui ajoute à la perte de la vie des souffrances cruelles et prolongées.
11° La peine de mort sera réduite au plus petit nombre de cas possibles, et réservée aux crimes les plus atroces.
12° Les coupables du même crime, de quelque classe qu'ils soient, subiront la même peine.
13° Les prisons, dans l'intention de la loi, étant destinées non à punir les prisonniers, mais à s'assurer de leur personne, on supprimera partout les cachots souterrains ; on s'occupera des moyens de rendre l'intérieur des autres prisons plus salubre, et on veillera à l'exécution des règlements relatifs à la police et aux mœurs des prisonniers.
Il sera établi des ateliers de travail dans toutes les maisons de réclusion ,ainsi que dans toutes les prisons où cet établissement ne nuira point à la sûreté.
14° Toute partie, en matière civile, aura, de droit, la liberté de plaider sa cause elle-même ; en matière criminelle, chaque citoyen pourra se charger de plaider la cause de l'accusé.
15° L'usage de la sellette sera aboli.
16° Les Etats-Généraux prendront en considération le sort des esclaves noirs, ou hommes de couleur, tant dans les colonies qu'en France.
La ville de Paris, à raison de son étendue et de sa population, de son commerce et de son industrie, des deux excès de luxe et de détresse dont elle est le mélange, de sa richesse et de ses besoins multipliés et renaissants, du soin pénible et assidu de pourvoir à sa subsistance, est, sans comparaison, celle des villes du royaume qui exige l'administration la plus active et la plus vigilante, la plus sagement organisée et la mieux concertée dans tous ses mouvements.
En conséquence, le tiers-état demande pour la ville de Paris une administration composée de membres librement élus par tous les citoyens, et renouvelés tous les trois ans, formée à l'instar des assemblées provinciales, chargée des mêmes fonctions, et ayant les mêmes rapports avec les Etats-Généraux, laquelle administration fera, suivant le régime qu'elle établira, les fonctions de corps municipal, et aura la gestion des propriétés de la ville, etc.
Les administrations provinciales, et particulièrement l'administration de Paris, examineront avec attention s'il convient de maintenir, réformer ou supprimer les corporations et jurandes.
Il sera pareillement renvoyé à l'assemblée de Paris l'examen de la question s'il convient de maintenir, réformer ou supprimer les privilèges des maisons du roi et des princes, et ceux des corps et des nations.
Que les Etats-Généraux s'assemblent désormais à Paris, dans un édifice public destiné à cet usage.
Que sur le frontispice il soit écrit : Palais des États-Généraux ; et que sur le sol de la Bastille détruite et rasée, on établisse une place publique, au milieu de laquelle s'élèvera une colonne d'une architecture noble et simple, avec cette inscription : A Louis XVI, restaurateur de la liberté publique.
Signé : TARGET, président librement élu ; CAMUS, second président, élu librement ; BAILLY, secrétaire, élu librement ; GUILLOTIN, second secrétaire, élu librement.