2 h du matin, la rumeur court que la rue Saint-Antoine serait envahie
par 15 000 soldats, le massacre aurait déjà commencé.
C'est une fausse alerte. Quelques heures plus tard, nouvelle alarme : le
Royal-allemand se dirigerait vers la barrière du Trône, le
Royal-croate sur le Fg Saint Antoine, d'autres se déplaceraient vers
La Chapelle. L'obsession de la veille revient : il faut trouver des armes
par n'importe quels moyens. Les Invalides en sont remplies. La veille, Charles
Virot de Sombreuil, le gouverneur, avait refusé de livrer les fusils
réclamés par une délégation des électeurs
pour armer la nouvelle milice. Mais c'est bientôt une foule de plus
en plus dense qui se dirige au centre de la ville, jusqu'à l'austère
bâtiment. A 6 h, ils sont des milliers qui piétinent
sur l'immense esplanade. Sombreuil veut parlementer, mais lorsqu'il ouvre
la grille, la foule s'engouffre dans la cour, envahissant bientôt
les bâtiments et descendant jusque dans les souterrains. Le pillage
durera jusqu'à 14 h et les manifestants s'empareront de 32
000 fusils, sans cartouches, ainsi que de 12 pièces de canon et d'un
mortier (pas un seul instant, les invalides ne se sont opposés au
pillage ; quant aux troupes de Besenval, cantonnées au Champ-de-Mars,
elles n'ont pas bougé d'un pouce et sont restées l'arme au
pied). Les cartouches et les poudres étant entreposées à
la Bastille, on décide de s'y rendre sans attendre.
A
l'entrée du Fg Saint Antoine, là où se dresse l'énorme
forteresse, une foule imposante s'est amassée depuis la veille au
soir. Dès le petit matin, plusieurs centaines d'artisans, ouvriers
du meuble pour la plupart, armés de piques, d'outils et de bâtons,
sont venus devant la Bastille pour y réclamer de quoi faire des balles.
De Launay, gouverneur de la Bastille, avait renforcé ses défenses
depuis quelques jours et fait descendre dans les caves 250 barils de poudre
que ses hommes avaient ramené de l'Arsenal. 30 soldats suisses
avaient été adjoints à la garnison des 90 invalides
qui gardaient habituellement les lieux. En voyant les bouches des canons
pointées en direction du faubourg, la foule prend peur. On fait aussitôt
avertir l'Assemblée des électeurs.
10
h, une députation des électeurs arrive sur les lieux,
portant un arrêté du comité permanent : "Le
comité permanent de la milice parisienne, considérant qu'il
ne doit y avoir à Paris aucune force militaire qui ne soit sous la
main de la ville, charge les députés qu'il adresse au commandant
de la Bastille, de lui demander s'il est disposé à recevoir
dans cette place, les troupes de la milice parisienne, qui la garderont
de concert avec les troupes qui s'y trouvent actuellement".
De Launay les fait aussitôt entrer et les invite à déjeuner.
Pendant ce temps, les esprits s'échauffent et la foule grossit.
11
h 30, on entend des cris et les canons reculent. Pensant qu'on les charge,
plusieurs hommes se précipitent jusqu'au siège du district
voisin, annonçant qu'on allait tirer sur le peuple et que la délégation
a été fait prisonnière. Dirigée par l'avocat
Thuriot, une seconde délégation se présente devant
la forteresse qui leur ouvre ses portes sans difficulté. Dehors,
la foule s'impatiente.
12
h 30, Thuriot ressort, affirmant que les canons ne sont pas chargés
et que le gouverneur a promis, si on ne l'attaque pas, de ne pas tirer.
La foule le hue, jugeant qu'il n'avait pas obtenu la reddition de la garnison
: "Nous voulons la Bastille ! En bas la troupe
!".
13
h 30, des garçons, montés sur le toit de la boutique d'un
parfumeur appuyée au chemin de ronde, sautent dans la cour du Gouvernement,
face à la demeure de de Launay, et brisent à coups de hache
les balanciers des chaînes auxquelles était attaché
le pont-levis ; celui-ci s'abat avec fracas, tuant un homme au bord du fossé.
En quelques minutes, des centaines d'émeutiers se ruent dans la cour
en poussant des cris de victoire quand, tout à coup, éclatent
des coups de feu. Fauchés par les balles, plusieurs manifestant s'effondrent.
On crie à la trahison, pensant que le gouverneur a tendu un piège
aux manifestants. La fusillade s'engage entre assiégeants et assiégés.
De tous les faubourgs, accourent des hommes armés de la façon
la plus hétéroclite.
14
h, une troisième délégation arrive de l'Hôtel
de Ville pour demander à de Launay de faire cesser le feu, de livrer
les armes au peuple et d'accepter qu'un détachement de la milice
se joigne à la garnison de la forteresse. Bien qu'ils agitent leurs
mouchoirs blancs, personne ne leur prêtent attention et la fusillade
continue. Ethis de Corny est alors chargé d'exiger le cessez-le-feu
et de remettre la Bastille à la milice bourgeoise. Un porte-drapeau
et un tambour l'accompagnent. Arrivé sur les lieux, il parvient à
faire évacuer la cour du Gouvernement. Un drapeau blanc est hissé
sur la Bastille. Au moment où la députation approche, des
coups de feu éclatent : un homme est abattu. La foule hurle, la députation
se retire, on ne veut plus de négociations.
15
h 30, les émeutiers commencent à s'épuiser lorsqu'arrive
une soixantaine de gardes-françaises, traînant derrière
eux 5 canons, et 3 à 400 hommes armés, dirigés par
un certain Hulin, ancien sergent aux gardes suisse. Au même moment,
débouche une seconde colonne de citoyens armés, placés
sous le commandement d'un sous-lieutenant dénommé Elie. Ils
apportent les canons pris aux Invalides. Après avoir ouvert le feu
contre les soldats, sur les remparts, ils transportent sous la mitraille
deux canons dans la cour du Gouvernement face au pont-levis de la forteresse.
"Bas les ponts ! Bas les ponts !"
hurle la foule. A l'intérieur, de Launay veut donner l'ordre de faire
sauter la Bastille, mais se heurte aux baïonnette des invalides qui
exigent la reddition. Les assaillants se prépare à ouvrir,
au canon, un chemin à l'intérieur de l'édifice, lorsqu'ils
voient apparaître un papier par une fente de l'énorme porte.
Ne pouvant l'atteindre sans que le pont-levis ne soit abaissé, on
court chez un menuisier voisin d'où l'on rapporte des planches. On
place la plus longue en travers du fossé, plusieurs émeutiers
montent dessus pour faire contrepoids tandis qu'un cordonnier s'avance au-dessus
du vide pour saisir le papier. Il perd l'équilibre et fait une terrible
chute. Aussitôt, l'huissier Maillard s'élance sur la planche
et se saisit du billet qu'il donne à Hulin. C'est la capitulation.
Mais la foule la refuse, elle veut prendre la Bastille. Hulin cède
et fait tirer le canon lorsque le pont s'abat brutalement. Poussés
par la foule, Hulin et Elie y pénètrent les premiers, ne parvenant
pas à empêcher la foule de s'attaquer aux invalides et de se
répandre partout, pillant et détruisant tout sur leur passage,
jetant les archives par les fenêtres. Les assaillants partent à
la recherches des prisonniers. Ils en trouvent 7 (un complice du régicide
Damien, détenu depuis 30 ans, un aristocrate fou, un criminel et
4 faussaires).
17
h, les émeutiers s'empare de de Launay qu'ils désirent
mener à l'Hôtel de Ville. Sur le parcours, la foule réclament
la mort du gouverneur et des soldats désarmés, tandis qu'on
porte en triomphe les prisonniers délivrés. Au cours du trajet,
3 officiers de l'état-major de la Bastille, ainsi que 3 invalides,
sont massacrés et de Launay sérieusement molesté, malgré
Hulin qui tente de le protéger. "Il
faut lui couper la tête !".
"Il faut le pendre !". Lorsque le cortège
parvient devant l'Hôtel de Ville, un cuisinier s'élance vers
de Launay qui, déjà blessé, s'écrie "Qu'on
me donne la mort !". En se débattant, d'un coup de
genou, il atteint l'homme, un certain Desnot, aux parties ; celui-ci gémit
"Me voilà perdu !".
Aussitôt un inconnu porte un coup de baïonnette dans le ventre
du gouverneur qui est bientôt lardé de coups de piques et achevé
au pistolet dans le ruisseau. Le cuisinier, s'étant relevé,
saisit son couteau de poche et entreprend de lui couper la tête sous
les acclamations de la foule. C'est alors que Flesselles, le prévôt
des marchands, sort de l'Hôtel de Ville. Accusé de trahison
et de spéculation la foule marche sur lui, un individu sort son pistolet
et lui tire froidement à la tête qu'on lui coupe aussitôt.
18
h, les têtes coupées, fichées sur des piques, ouvrent
une procession triomphale de l'Hôtel de Ville au Palais-Royal, où
à l'allégresse révolutionnaire se mêle toutefois
un sentiment confus de honte et d'angoisse.
A
Versailles, le roi est affecté par la défection des troupes.
Dans l'après-midi, deux délégations de l'Assemblée
lui font part de l'évolution de la situation à Paris. "L'objet
de vos inquiétudes est bien propre à émouvoir le coeur
de tous les bons citoyens et touche sensiblement le mien",
déclare Louis XVI qui se contente de donner l'ordre aux troupes cantonnées
au Champ-de Mars de se replier sur Saint-Cloud. Il part se coucher de bonne
heure, mais le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, son grand maître
de la garde-robe, le réveille pour lui faire un compte-rendu de la
journée, le suppliant de prendre la situation en main et de se rendre
dès le lendemain à l'Assemblée. "C'est
une révolte", dit le roi. "Non,
sire, une Révolution". |